CECI n'est pas EXECUTE 18 avril 1878

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18 avril 1878

Alfred de Falloux à Mgr Dupanloup

18 avril 1878

Cher seigneur,

Le bruit circule à Angers que vous préparez et allez nous donner très prochainement une brochure politique. J'en suis, à votre étonnement je l'espère, tout à fait désolé, et je viens vous dire pourquoi avec la sincérité que vous m'avez toujours connue et que vous m'avez toujours permise. Je ne vous dirai rien de l'inopportunité à propos du chapeau1 ; ce chapeau-là nous regarde plus que et vous n'avez pas à vous en mêler. Je vous ai répondu à Hyères que je ne vous obéirais point sur ce sujet. Tous vos amis en ont fait autant et il se croient maintenant sûrs du succès.

Je me permets de me placer sur un autre terrain et de vous assurer qu'une agression de vous, à cette heure-ci, quelque soit la beauté ou même la prudence de la forme, serait désastreuse, à moins que vous n'écriviez pour démontrerque le clergé dans sa généralité n'a que ce qu'il mérite, et que la plupart des catholiques seront difficilement aussi punisqu'ils ont été provoquants et extravagants. Mais sera-ce là votre thème, j'en doute.

Hors de ce cadre, malheureusement trop riche, vous ne pouvez ce me semble, qu'attiser de nouvelles fureurs contre l'Eglise sans apporter aucun secours à la société. Vous constaterez un mal qui n'est, hélas ! que trop évident ; c'est le remède qu'il faudrait trouver et présenter au pays. Mais ce remède, l'avez-vous ; êtes-vous en mesure d'annoncer que le comte de Chambord et le comte de Paris marchent d'un commun accord derrière le même drapeau2? Pourriez-vous seulement promettre la réconciliation du duc Pasquier3 et du duc de Broglie ?

Dans un tel état de choses, cher seigneur, votre place n'est plus ou n'est pas encore dans la mêlée. Laissez Rome et Paris se rencontrer pour un apaisement préalable. Laissez Rome et Paris donner au monde un premier spectacle dont il a grand besoin, et alors vous interviendrez puissamment avec la double autorité de cet exemple même et de la double confiance qui vous aura été incontestablement témoignée.

Cela ne s'applique pas, bien entendu, à votre travail sur M. Thiers, s'il est prêt. Celui-là tendrait à prouver que nous avons tort de ne pas bénéficier de M. Thiers comme M. Thiers vous reprochait de trop rejeter Voltaire à l'ennemi. Ce serait là une œuvre d'histoire, non de polémique, mais ce n'est pas là ce qu'on m'annonce. Rassurez-moi, je vous en prie, impasse des Jacobins, Angers où je reste jusqu'au mardi de Pâques.

Votre plus respectueusement ami.

Falloux

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1Le chapeau de cardinal. Contre toute attente, et au grand dam de ses amis, le dit chapeau ne sera jamais accordé à l'évêque d'Orléans.

2L'évêque cherchait alors vainement à rapprocher les deux branches de la famille royale.

3Edme Armand Gaston, duc d'Audiffret-Pasquier (1823-1905), homme politique français. Auditeur du conseil d’État de 1845 à 1848. Membre du Conseil d'administration des mines d'Anzin. Il devient député de l'Orne en 1871. Inscrit au centre-droit, il contribua à la chute de Thiers. Favorable à la fusion et à la restauration d'une monarchie constitutionnelle, il se résigna, en raison de l'attitude intransigeant du comte de Chambord au vote de la loi du septennat et contribua à la chute du ministère Broglie. Partisan d'une conciliation avec le centre-gauche, il est élu à la présidence de l'Assemblée nationale le 15 mars 1875 et neuf mois plus tard il est élu sénateur inamovible. Il sera élu à l'Académie française le 24 décembre 1878 au fauteuil de Mgr Dupanloup.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 avril 1878», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1878,mis à jour le : 14/12/2015