CECI n'est pas EXECUTE 3 octobre 1874

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3 octobre 1874

Alfred de Falloux à Mgr Dupanloip

3 octobre 1874

Cher seigneur,

Voici l'histoire complète des souvenirs que vous me demandez.

Au moment où vous étiez en butte à toutes les attaques que vous valut l'inqualifiable procédé qui livrait aux journaux votre correspondance avec le comte de Chambord, je lus dans l'Univers l'extrait d'un journal belge qui me faisait assister à je ne sais plus quel conciliabule avec les princes d'Orléans. Je profitais de l'occasion, et j'écrivis, non à l'Univers, mais au journal belge, une lettre dans laquelle je me déchargeais le cœur en votre honneur, et sur la coterie qui inspirait toute cette polémique.

Là-dessus, MM. de Franclieu1 et de Belcastel2, que je n'avais nullement nommés, prirent feu, et m'adressèrent par l'Univers les lettres les plus grossières, ressuscitant toutes leurs niaiseries sur le discours chez M. de Meaux, qui n'était nullement en cause dans cette affaire. M. Laurentie s'en mêla, et après des incidents plus ou moins ridicules, je me décidais à publier ce discours de Meaux3 tels que vous venez de le relire. Ni M. de Franclieu, ni M. de Belcastel ne soufflèrent plus mot ; mais M. de La Rochette4 annonça dans l'Espérance du Peuple qu'il allait publier une correspondance qu'il avait eue avec moi un an auparavant. J'attendis paisiblement l'effet de cette menace, enchanté que mes réponses à M. de La Rochette fussent publiées par lui. Ses amis lui firent peut-être comprendre qu'il s'était engagé témérairement, et en définitive, il s'arrêta court. L'Espérance du Peuple ne dit plus rien, M. Laurentie non plus, et mon nom n'a pas été une seule fois articulé dans l'Union, depuis cette date, jusqu'à mon discours de Segré5, il y a huit jours. Le seul document de tout cela, le seul dans lequel il y ait quelques traces de doctrines et d'idées, est la très longue lettre de M. de Belcastel, qui a dû précéder de quinze jours ou de trois semaines dans l'Univers la publication tout entière qu'il faut citer à votre barre, et mettre sur la défensive. Je m'étonne que M. de Kerdrel et M. de Meaux n'aient pas, de leur côté, fait écho à Rességuier6 et même à l'humble discours de Segré, que je vous envoie pour le passage sur Turenne que vous désirez. Mille pardons pour le petit fragment que j'ai coupé mal à propos et que vous rajusterez aisément.

Votre plus respectueusement ami,

Alfred

1Franclieu, Charles Paul Alexandre Pasquier, marquis de (1810-1877), homme politique. Élu des Hautes-Pyrénées à l'Assemblée nationale de 1871, il se fit inscrire à l'extrême droite, parmi les légitimistes intransigeants, et vota pour la paix, pour l'abrogation des lois d'exil, puis pour la démission de Thiers. Il s'abstint lors du vote sur la prorogation des pouvoirs du Maréchal, vota pour l'état de siège, contre le ministère de Broglie, contre la dissolution de l'Assemblée, contre l'amendement Wallon, contre les lois constitutionnelles. En mai 1872, le duc d'Aumale ayant avoué à la tribune ses préférences pour le drapeau tricolore, M. de Franclieu lui écrivit une lettre pour lui reprocher de pactiser avec la Révolution. Ayant protesté contre la prorogation des conseils municipaux, il demanda, le 8 janvier 1874, avec la gauche, que la nomination des maires fut laissée aux conseils municipaux. Il signa l'adresse des députés au pape à propos du Syllabus, et fit partie du pèlerinage de Paray-le-Monial. Le 11 décembre 1875, il fut élu sénateur inamovible par l'Assemblée nationale. Après le 16 mai, il vota la dissolution, mais ne cacha pas combien peu de confiance lui inspirait le gouvernement de l'ordre moral. Il mourut quelques mois après.

2Belcastel, Jean Baptiste Gaston Gabriel Marie Louis Lacoste de (1821-1890), homme politique français, il fut élu à l’Assemblée nationale le 8 février 1871 (Haute-Garonne). Légitimiste intransigeant, il fut le seul à Bordeaux à refuser de nommer Thiers chef du pouvoir exécutif de la "République" et vota contre le transfert de l'Assemblée à Bordeaux. Il était le représentant parfait de ceux qu'on appelait les "chevau-léger". Il s'opposa à la fusion avec les orléanistes, contribua en mai 1873 au renversement de Thiers, vota contre de Broglie en 1874 et contre l'amendement Wallon en janvier 1875. Élu sénateur de Haute-Garonne le 30 janvier 1876, il protesta contre la loi qui retirait aux facultés libres l'octroi des diplômes, s'opposa au recensement des congrégations et vota le 16 mai 1877 la dissolution de la Chambre.

3Le 3 janvier 1872, lors d'une réunion organisée au domicile parisien de Camille de Meaux à laquelle avaient été convoqués de nombreux députés de la droite, Falloux avait prononcé un discours les exhortant à œuvrer en faveur d'une restauration.

4Légitimiste, fidèle inconditionnel du comte de Chambord, Emerand de la Rochette (1803-1880) n'avait eu de cesse d'attaquer les idées de Berryer en faveur de la « fusion »et adoptera la même attitude à l'encontre de Falloux et de ses amis. Publiciste, il était le fondateur et le directeur de L'espérance du peuple (1852-1876), organe des légitimistes de Loire-Atlantique.

5Dans ce discours prononcé au Comice agricole de Segré, trois jours avant le deuxième tour de l'élection partielle du Maine-et-Loire, Falloux avait tenté de mobiliser les hésitants et les abstentionnistes du premier tour en faveur du candidat Bruas, représentant de la droite modérée.

6Voir lettre de Falloux à Charles de Lacombe du 13 octobre 1874.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «3 octobre 1874», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1874,mis à jour le : 22/11/2022