CECI n'est pas EXECUTE 10 août 1866

Année 1866 |

10 août 1866

Alfred-Auguste Cuvillier-Fleury à Alfred de Falloux

Passy (4, avenue Raphaël),10 août 1866

Monsieur et trés honoré confrère,

 

Si vous avez remarqué dans les journaux l'annonce récente de la mort de Madame Thouvenel1, ma belle-sœur, vous vous serez expliqué pourquoi je n'avais pas encore répondu à votre lettre de Rochecotte. Cette lettre m'est arrivée au moment même où le malheur venait nous atteindre, avec tout le cruel surcroît d'inquiétudes que nous cause la situation toujours bien menacée de notre frère survivant. Mais j'avais à cœur pourtant de vous adresser, dirai-je mes félicitations ? vraiment, j'en ai bien envie ; et à coup sûr, l'expression de la vive part que j'ai prise à vos efforts, à vos combats et à votre honorable défaite. « Tout est perdu », le parti libéral aurait bien le droit de prendre à son compte ce mot d'un roi qui ne l'était guère ; je voudrais qu'il eut aussi le droit de le compléter « fors l'honneur » ; ce sont ceux qui visent au succès de la cause libérale, non aux satisfactions personnelles, ni aux misérables victoires de la prévention et de la passion, ce sont ceux-là seuls qui sont vraiment les gardiens de l'honneur. Vous êtes avec eux, cher confrère, par la vertu de ces sacrifices qu'en tout temps vous avez su faire à la cause que vous servez, celle de la liberté politique, sauvegarde, garantie et protection de tous les intérêts respectables sacrés et profonds. Vous êtes avec ceux-là et vous venez de le prouver une fois de plus. Votre circulaire électorale était un modèle de modération intelligente et forte. Ceux qui vous ont exclus2, parce que vous croyez en Dieu plus que dans le suffrage universel, et qui vous ont préféré un serviteur du bon plaisir, n'ont peut-être fait preuve que d'imprévoyance, mais c'est pour les masses qu'a été fait l'axiome : quos perdere vult deus dementat3. Le pays ne s'arrêtera sur la pente rapide où il est entraîné, avec un aveuglement si fatal, que le jour où n'entendant plus avoir répété par des esprits libres, il s'effraiera de ce grand silence. Nous en sommes là, peut sans feu, puisque nous sommes à la veille de cette paix prussienne qui se sera faite sans qu'aucune voix libre en France, depuis le discours de Monsieur Thiers, et pu en discutait ou seulement en prédire l'énormité pour l'Europe et le dommage pour nous ! C'est donc justice, Monsieur et honorable confrères, que vous ne soyez pas membres de l'assemblée condamnée à l'impuissance. C'est justice, quand on songe à tout ce que vous aurez si bien dit, si sagement conseillé, et pratiqué au besoin si résolument. Oui, j'avais à cœur de vous adresser si accabler que je sois d'autres soins douloureux, ce commentaire de votre défaite, que vous m'annonciez d'un cœur si libre et avec un accent de bonne conscience s'y décider. Permettez-moi d'y apporter la nouvelle assurance de ma bien sincère et affectueuse considération.

Cuvillier-Fleury

1Cuvillier-Fleury avait épousé, en 1840, Henriette Thouvenel (1820-1892), la sœur d'Edouard Antoine Thouvenel (1816-1866), ministre des Affaires étrangères de Napoléon III de 1860 à 1862. Il ne survivra que quelques semaines à la mort de son épouse.

2Une partie des libéraux et les républicains avaient refusé d'apporter leur soutien à la candidature de Falloux dans la circonscription de Segré-Baugé.

3« Ceux que Dieu veut détruire, il les mènent à la folie ».


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «10 août 1866», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1866,mis à jour le : 21/11/2015