CECI n'est pas EXECUTE 10 août 1877

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10 août 1877

Alfred de Falloux à Charles de Lacombe

10 août 1877*

Mon cher ami,

Je vous rends, soyez-en bien sûr, pensée pour pensée et regret pour regret. Mais on n'avance pas, dans la vie, sans savoir qu'elle est surtout faite de mécomptes. Nous lisons précisément le soir, en ce moment, les lettres de Madame de Sévigné, c'est-à-dire la correspondance de gens qui ne nous charment que parce qu'ils étaient condamnés à vivre constamment séparés les uns des autres. Cela m'explique comment, de tous les amis que j'ai aimés, que j'aime le plus, pas un n'a été ou n'est Angevin ; n'allez pas en conclure que je renonce à vous que je vous prie de renoncer à moi. Concluez-en, au contraire, que nous devons redoubler d'efforts, chacun de notre côté, pour lutter contre cette loi sévère.

Je vous remercie de me dédommager par le Correspondant. C'est une consolation à laquelle je serai très sensible, que j'attends avec impatience. M. de Serres1 est un sujet assez beau par lui-même pour se passer de l'opportunité ; mais l'opportunité même ne lui manquera pas. Tout ce qui fait sentir le prix et la beauté de la modération est précisément la leçon dont notre temps a le plus de besoin, et particulièrement nos amis. Les circonstances font, dans Maine-et-Loire, que l'extrême-droite avait à se montrer dans un seul arrondissement, celui de Baugé, et elle s'y montre plus extravagante que jamais, bien qu'en face d'un radical2 du plus mauvais aloi. Hier encore, j'avais sur ce pays des renseignements pitoyables. Soyez donc bien convaincu que vous ne pouvez rien faire de mieux que de leur montrer M. de Serre, de nous le montrer à tous, afin de fortifier ce que vous n'aurez pas à convertir, et ne manquez pas de donner au Correspondant votre travail tout entier.

Quant au gouvernement dont je sais bien peu les secrets, que je ne voudrais ni demander ni recevoir par la poste, je suis sûr qu'il a envisagé les deux hypothèses et prévu l'échec électoral aussi bien que le succès, l'un étant à ses yeux, comme aux nôtres, au moins aussi probable que l'autre. Mais on ne prévoit jamais tout, on ne se prévoit même pas bien soi-même, et il y a toujours une grande différence entre ce que l'on voit veut venir et ce qui est tout venu. Je redouble donc de vœux pour le succès, et je redoublerais d'efforts si je n'étais dans un arrondissement3 où l'élection est faite d'avance. M. Janvier4 est député sortant, il est un des 1585, il avait réussi, par surprise, l'année dernière ; il passera cette année sans surprise et sans opposition. Pour vous, mon cher ami, je vous attends au Sénat6.

Falloux

 

*Lettre publiée in Charles de Lacombe, Journal politique, t. 2, p. 277-278

 

1Olivier de Serres (1539-1619), agronome français auquel Falloux avait consacré un long article. Charles de Lacombe était également en train d'écrire un ouvrage conséquent sur la vie de ce célèbre agronome qui parût en 1881 (Le comte de Serre, sa vie et son temps, Paris, Didier, 1881, 2 vol. Ce travail devait être publié dans un premier temps dans Le Correspondant.

2Il s'agit d'Albert Benoist (1842-1901). Sous-préfet de Baugé de septembre 1870 à juin 1871, élu comme candidat républicain le 20 février 1876 dans l'arrondissement de Baugé par plus de 10.000 voix contre le conservateur Rochebouët (6.038 voix), il sera réélu le 14 octobre 1877 comme un des 363 et de nouveau en 1881.

3L'arrondissement de Segré est acquis aux conservateurs.

4Janvier de La Motte, Louis Eugène (1849-1894), maire de Juvardeil, candidat bonapartiste dans la circonscription de Segré, il fut élu au 2e tour contre le comte de Terves, légitimiste. Inscrit au groupe de l'Appel au peuple, il vota avec les 158 pour le gouvernement du Seize-Mai et, comme le prévoit ici Falloux, fut réélu très confortablement contre le républicain Robert. Ayant rejoint par la suite les rangs de l'Union républicaine, il ne retrouvera pas son siège, battu en 1881 par le comte de Terves.

5Lors de la crise du 16 mai 1877, consécutive au vote de la motion de défiance des 363 députés, républicains pour la plupart, 158 députés conservateurs avaient maintenu leur confiance au gouvernement de l'Ordre moral.

6Candidat, Charles de Mercier de Lacombe n'obtiendra en définitive qu'une seule voix lors du scrutin du 23 janvier 1878 qui sera remis les deux Le scrutin


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «10 août 1877», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République, CORRESPONDANCES, 1877,mis à jour le : 27/04/2015