CECI n'est pas EXECUTE 5 octobre 1876

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5 octobre 1876

Charles de Lacombe à Alfred de Falloux

Chappes par Auzon1, 5 octobre 1876*

 

Cher et bon ami,

Vous avez adressé avec votre élévation ordinaire des réflexions bien justes au comice de Segré. Le souhait que vous avez exprimé est en effet de ce que l'on est tenté de former, lorsqu'on voit tant d'attaques se déchaîner contre l’Église, encouragées elles-mêmes par les lâches complaisances de gens qui ne vivent que de la sécurité que cette religion leur donne. Je ne cherche pas quelle part ont pu avoir, dans ce redoublement d'attaque, les imprudences si justement signalées par Mgr l'évêque de Gap2. Il suffira toujours, pour les entretenir et pour en expliquer la durée, du péché originel et de ce que Bossuet appelle la haine des hommes contre la vérité ; mais il est certain que nous sommes de plus en plus emportés entre deux périls, le fléau de l'irréligion avec ses fureurs, et le danger de la réaction absolue que cette tempête peut provoquer chez les défenseurs de l’Église. Sous ce rapport, je trouve très sage le mandement de l'évêque de Gap3; et je souhaiterais que sa manière de voir en contrat dans le clergé et parmi des laïques, souvent plus violents, beaucoup d'adhérents. Nous sommes menacés au-dedans comme au dehors par des événements bien graves. Mais la modération serait trop facile, si elle n'était faite que pour les temps calmes. Je ne me rends pas compte des dispositions dans lesquels les esprits vont se retrouver au retour de la session. Les journaux, pour la plupart si exagérés et de si mauvaise foi, n'en peuvent donner l'idée. Les abominations qui se sont débitées dans les réunions publiques et jusque sur l'estrade des distributions de prix n'auront-elles pas fait réfléchir quelques-uns dans les camps voisins de la gauche ? Et de l'autre côté, tout en flétrissant ces horreurs, aura-t-on la sagesse de ne pas étendre outre mesure les solidarités, et de ne pas rendre ennemis, en les traitant comme tels, ceux qui ne sont peut-être qu'indécis ? Il paraît certain qu'il y a dans le ministère une scission. Il y aurait à l'élargir et non pas à rapprocher les hommes, sous des attaques indistinctement lancées. Au surplus, la guerre dominera peut-être bientôt ces querelles intérieures, et puisse-t-elle ne pas nous réunir en nous broyant, comme disait M. de Maistre4!

Je pense bien souvent, je vous assure, aux préoccupations que vous donne la santé de Madame de Falloux. Je voudrais apprendre que vous en êtes à peu près délivré. Le climat du Midi, qui a fait tant de cures, achèvera la sienne, j'en ai l'espoir, et ce serait du moins, pour nous, le meilleur dédommagement au regret de vous voir vous éloigner encore.

Agréez, cher ami, mes vœux les plus tendres et l'expression d'un attachement bien dévoué.

 

 

 

 

*Lettre publiée in Charles de Lacombe, Journal politique, t. 2, p. 270

1Commune du Puy-de-Dôme.

2Mgr Guilbert Aimé Victor François (1812-1889), ordonné prêtre en 1837, évêque de Gap en 1867, il fut nommé à Amiens en 1879, puis archevêque de Bordeaux en 1883. Il sera créé cardinal par Léon XIII en 1889.

3Au mois de septembre 1876, Monseigneur Guilbert avait adressé au clergé de son diocèse une lettre pastorale recommandant de en pas interférer dans les questions touchant la politique. Ce mandement s'était attiré les foudres des prélats les plus conservateurs au premier rang desquels Mgr Freppel, l'évêque d'Angers.

4Joseph de Maistre (1753-1821), philosophe. Savoyard, il était sujet du roi de Piémont-Sardaigne. Magistrat au Sénat de Savoie comme son père, il quitta la Savoie à l'arrivée des troupes françaises en septembre 1792 et se réfugia en Piémont puis en Suisse. Il publia, en 1797, son premier ouvrage Les considérations sur la France. Rentré en Italie en 1799, il fut chargé par le roi de Sardaigne de le représenter auprès du tsar. Il resta en poste à Saint-Pétersbourg jusqu'en 1817. Revenu en Italie, il mourut à Turin. Auteur de plusieurs ouvrages, Essai sur le principe générateur des constitutions politiques (1814), Du Pape (1819) et Les Soirées de Saint-Pétersbourg (ouvrage publié en 1821 peu après sa mort), De Maistre, comme De Bonald refusa tout compromis avec les principes nouveaux issus de la révolution. Joseph de Maistre et Mme Swetchine, sur laquelle Falloux écrivit une biographie, avaient lié connaissance en Russie.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «5 octobre 1876», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1876,mis à jour le : 27/04/2015