CECI n'est pas EXECUTE 16 août 1876

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16 août 1876

Alfred de Falloux à Charles de Lacombe

16 août 1876*

Mon cher ami,

Je n'ai point hésité à me ranger à votre avis théorique, avant même,que vous m'en ayez donné les meilleurs raisons, et, le lendemain du triomphe de Buffet, j'écrivais dans un sens que vous auriez certainement approuvé. Mais cela ne suffit pas, et il faut en venir à la pratique. Là, les difficultés se multiplient comme à plaisir ; la volonté des gens s'en mêle, bien entendu, mais quelquefois aussi la volonté supérieure à toutes les autres semble se complaire dans nos embarras ou dans nos sottises. On ne pouvait demander à M. Wolowski1 de mourir pour la simplification d'un scrutin, mais puisqu'il devait mourir le lendemain, que lui coûtait-t-il de mourir la veille ? Et ainsi de tant d'autres choses, tantôt plus grosses, tantôt plus petites, mais toujours contraires à l'objet et à notre salut. Aussi m'arrive-t-il souvent désormais de demander à ceux de nos amis qui croient toujours avoir la providence dans leur manche, s'ils sont bien sûrs que le bon Dieu ne soit pas centre gauche. Et, en effet, depuis combien d'années, j'allais dire depuis combien de siècles, ne voit-on pas les événements, les dons de la fortune et du génie tourner incessamment contre les prétentions ultra cléricales ou ultra monarchiques ! Et comment croire que tout est hasard, dans cette prédominance ininterrompue des peuples, des gouvernements, des idées qui ont préparé, constitué, défendu ce qu'on appelle la « société moderne ». je crois de plus en plus qu'il y a là des enseignements que nous avons méconnus et qu'il est grand temps de comprendre ; mais en même temps, lorsque nous jetons les yeux sur ce que nous nommons encore nos adversaires, quel amas de sottises et de crimes ! Je ne veux pas pour cela, cher ami, conclure au scepticisme, mais je conclus que le seul métier consciencieux et précisément celui que vous faites : déplaire un peu, quelquefois beaucoup à tout le monde. C'est désagréable, ce n'est pas profitable, mais c'est honnête, et j'ajoute du plus profond de mon cœur, c'est ce qui attachent vous et à quelques autres, en trop petit nombre, une estime, une affection, une admiration qui ne pourrait souffrir à d'autres. C'est ce qui a fait la grandeur de Berryer, c'est ce qui trace la ligne de son historien, le soutiendra dans de dures épreuves, et finira par l'en faire triompher.

Marchez donc résolument dans votre voie, cher ami, donnez-nous du Serres, donnez-nous du Berryer2, et bientôt, je l'espère, notre pays redemandera du Lacombe.

Je vous embrasse dans cet espoir, et Hilaire aussi par votre entremise.

Alfred

 

 

*Lettre publiée in Charles de Lacombe, Journal politique, t. 2, p. 266

1Louis Wolowski, qui était député de centre-gauche était mort la veille, le 15 août. Wolowski, Louis François Michel (1810-1876), avocat, économiste et homme politique. Il avait fondé la revue de législation et de jurisprudence et fut un des cofondateur du Crédit foncier de France en 1852. Après avoir soutenu la monarchie de Juillet, il s’était rallié à la seconde république. Élu de la seine en 1848, il avait voté pour l'expédition de Rome et la loi Falloux. Retiré de la vie politique après le coup dÉtat de 1851, il sera de nouveau élu en 1871. Il vota contre la monarchie et siégea au centre-gauche. Membre actif de l'Association pour le libre-échange depuis 1846, il contribua néanmoins à faire adopter la loi du 19 mai 1871 qui limitait le travail des femmes et des enfants et créait des inspecteurs du travail.

2Charles de Lacombe préparait une biographie sur l'un et l'autre. Voir lettre sa lettre à Falloux du 11 octobre 1877.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «16 août 1876», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République, CORRESPONDANCES, 1876,mis à jour le : 27/04/2015