CECI n'est pas EXECUTE 18 mai 1870

Année 1870 |

18 mai 1870

Alfred de Falloux à Félix Dupanloup

18 mai 1878

Cher Seigneur,

Votre brochure sur Voltaire1 est la première que je n'ai pas reçue de votre main, et je n'en accuse que la poste,car je ne puis vous soupçonner d'injustice, et vous en auriez commis une très grande si vous aviez révoqué en doute mon admiration pour votre grand acte. Avec une magnanimité qui vous sied bien, vous avez jeté votre chapeau2 en l'air, bien sûr qu'il ne retomberait pas sur votre tête. C'est un bien rare exemple même dans l’Église et ce sera la consolation comme l'orgueil de vos amis. En attendant des jours meilleurs, si meilleurs il doit y avoir pour nous.

Quant à Voltaire, aucune éloquence, pas même la vôtre, n'en dira plus de mal que je n'en pense. Je regrette seulement, je regrette toujours que, de notre côté, ne vienne pas un solennel mea culpa. Vous dites dans votre première lettre : « Voltaire est un des auteurs de la sécularisation des biens de l’Église. » Oui, avec le clergé et l’État lui-même, par le scandaleux usage qu'ils firent de ces biens, durant tout le XVIIIe siècle. « Voltaire a usurpé une injuste popularité » Oui, mais parce que nous lui avons laissé, de son vivant, la plupart des grandes questions qui auraient appartenu au christianisme bien plus légitimement qu'à la philosophie.

Je disais, dans nos premières luttes religieuses : « Les voltairiens de nos jours sont plus coupables que Voltaire lui-même, car ils ont une terrible expérience de plus. » J'ajoute aujourd'hui et par la même raison : « Froshdorf est plus coupable que Coblentz3 et nos fanatismes d'aujourd'hui sont plus coupables que nos illusions du siècle dernier, parce que nous n'avons plus désormais l'excuse de la

routine, de la bonne foi et de l'ignorance invincible ». Il serait bien délicat à vous, cher seigneur, d'indiquer cette nuance, mais ce serait bien glorieux, et tout ce qui est une gloire de la conscience m'a toujours tenté pour vous.

Votre plus respectueusement ami.

Falloux

1Mgr Dupanloup, Premières lettres à MM. les membres du Conseil Municipal de Paris sur le centenaire de Voltaire, Librairie de la Société Bibliographique, Paris, 1878.

2Plusieurs de ses amis avait espéré, en vain, que l'évêque d'Orléans soit nommé cardinal.

3Lieu d'émigration de la noblesse lors de la Révolution de 1789.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 mai 1870», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1870,mis à jour le : 13/12/2015