CECI n'est pas EXECUTE 30 avril 1874

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30 avril 1874

Louis-Jules Trochu à Alfred de Falloux

Tours, le 30 avril 1874

Mon cher comte,

Comme toujours je suis touché et je suis honoré des marques de bienveillante sympathie que vous m'avez adressées.

Je ne crois pas qu'il soit arrivé que des hommes qui ont offert à leur pays, à la veille d'une catastrophe certaine, ce que j'appelle le dévouement de la dernière heure, aient jamais eu rien à attendre, après la catastrophe, de la justice contemporaine. Pour mon compte, je l'affirme, je ne lui demande rien et ma philosophie, sous ce rapport, est absolument cuirassée.

Ce qui la perce et la transperce, c'est que d'autres hommes qui ont voulu la catastrophe et disparu pendant son accomplissement, reparaissent après, pour juger et accabler ceux qui ont volontairement porté le poids des événements, pour dénaturer leurs intentions, travestir leurs actes et enfin frauder l'histoire au profit de passions passions politiques et personnelles impossibles à avouer.

De cela, je demande justice. Je sais bien que je ne l'aurai pas, mais laisse rien que de la demander ! Les faibles persécutés n'ont pas d'autres moyens pour informer l'avenir, pour le préparer à jugement d'appel, pour empêcher leurs indignes adversaires d'exiger tout à l'heure de la prescription. Mes petits livres sont des actes conservatoires dans l'intérêt de la vérité et de la justice future.

Quant à la vérité et à la justice présente, la politique (la blanche comme la rouge, avec l'intermédiaire) les a déclaré enragées, dangereuses et fait conséquemment étouffer entre deux matelas. Elles en sont mortes et avec elle le respect, l'honneur, la dignité des caractères et la dignité d'État sont morts aussi.la décadence d'abord vague et généralisée, se spécialise en un sens tout à fait imprévu. Exemple : il y a un Figaro1 qui, dans une langue et des formes impossible, fait par abonnement l'apothéose ou l'éreintement (au choix des contractants), prend des arrangements particuliers pour l'outrage, raconte des histoires scandaleuses, édite la gravelure et elle a tout cela le bon Dieu et le roi.

Un grand prince lui écrit « mon cher Figaro ». Le clergé s'y abonne à prix réduit. L'église de Paris bénit sa cloche et même ses presses (la semaine dernière) et voilà que le Saint-Père2 bénit solennellement Monsieur Veuillot!

Aussi, ne voyez jamais dans mes lettres le découragement que votre douce et affectueuse bienveillance semble me reprocher. Il voyait que le dégoût, l'horreur si vous voulez, d'une décadence qui se manifeste par de si accablants symptômes de l'immuable désordre des esprits.

J'offre mais vu aimer plus respectueux hommages à Madame la comtesse de Falloux, à vous et à Bertou que je crois au Bourg d'Iré, mes plus fidèles et sincères amitiés.

Gal Trochu

 

1Allusion au procès intenté par le général Trochu contre le Figaro pour deux articles d'Auguste Vitu du 23 et 27 janvier 1872 qui décrivait avec une sévérité « diffamatoire » sa conduite pendant le siège de Paris. Le journaliste et le directeur du journal furent condamnés à un mois de prison et à 3.000 francs d'amende.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «30 avril 1874», correspondance-falloux [En ligne], 1874, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 12/06/2015