CECI n'est pas EXECUTE 17 octobre 1871

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17 octobre 1871

Jules de Bertou à Alfred de Falloux

Rochecotte, le 17 octobre 1871

Cher ami,

Ma question sur le point fixe, absolu, indiscutable ne va pas en politique au-delà des Constituants 1790 : « le Roi inviolable, les ministres responsables » ne peut-on pas avoir toutes les réformes, les progrès vraiment utiles et bons ? C'est évident me répondrez-vous. A quoi je réplique "C'est donc à cela qu'il faut tendre avec le ferme propos de ne pas s'en départir quelques [sic] soient d'ailleurs les obstacles, les difficultés, les mauvaises volontés des uns ou des autres. Tout ceci s'est posé dans le silence de mes réflexions personnelles à la lecture des souvenirs racontés par M. Guizot1. En voyant un homme de mérite, de caractère du talent de ce noble pair de France faire ce qu'il avoue lui-même avoir fait contre la royauté restaurée, je me suis demandé ce qui serait arrivé si les libéraux de la trempe de M. de Broglie2 avait eu pour la royauté le sentiment qui inspirait les La Bourdonnaye3, les Lorgeril4 de ce temps là, les Martignac5, les Lainé6, etc., etc. Selon moi la monarchie n'aurait point sombré ni la liberté ni la France... Donc ce qui a manqué aux constitutionnels c'est la volonté inébranlable de maintenir leurs propres formules : « le Roi inviolable et les ministres responsables »

Quant aux lumières de Céans, chers amis, je reste fidèle à votre recommandation. Je ne souffle dessus ni pour les allumer ni pour les éteindre. Je les consulte. Je les regarde mais je n'en suis pas ébloui. Notre jeune ami7, autant que je le crois voir, est très résolu dans le sens orléaniste et s'il modère un peu ses élans c'est que sa femme8 y a peu de goût tout en étant d'avis qu'il faudra finir par là... J'entends et je vois tout cela en spectateur et je n'ai jusqu'ici pris part aux débats qu'une seule fois pour faire remarquer qu'Antoine [de Castellane] était beaucoup plus libre de ses mouvements que son b[eau]-père9 puisqu'il n'avait jamais eu aucun engagement personnel avec le parti légitimiste. J'insiste sur ces détails, cher ami, pour que vous sachiez bien que mes questions de l'autre jour étaient tout à fait du domaine du fort intérieur. La lecture de l'article Guizot avait remué ma conscience et j'éprouvais le besoin d'en causer avec mon confesseur. C'est absolument cela mais ce n'est rien de plus. Il est bien certain que le jour où ma conscience serait connaissance je ne lui demanderais pas et vous ne lui demanderiez pas non plus de se taire : mais hélas le problème est trop compliqué, trop ardue pour le temps qui me reste en ce monde et puisque je n'ai pas cru devoir me <mot illisible> a parlé j'en profiterai pour réfléchir et me taire. Madame de Castellane voulait vous écrire aujourd'hui mais je lui ai demandé la permission de tenir la plume promettant bien de la lui laisser demain. Êtes-vous sans nouvelles de Rennes que vous n'en dites pas dites pas un mot. Je veux me persuader que c'est bien le cas de dire pas de nouvelles bonnes nouvelles mais je vous supplie de nous confirmer dans ce cette espérance. La princesse m'écrit qu'après avoir lu la réponse de Ducrot10 elle lui donne la préférence sur Wimpffen11 et je l'en félicite car le premier me paraît avoir montré autant d'insuffisance que de suffisance12.

Mille amitiés de tous et à vous de plus en plus et de mieux en mieux.

Jules

Tendresse à Loyde, souvenirs à M. Riobé

Pontbriand est-il nommé ?

Albert [de Rességuier] m'a écrit pour avoir des nouvelles de son beau-frère qui est chez sa belle-sœur de Russé13 ici à côté et qu'on représente comme assez malade.

1François Guizot a consacré un ouvrage à son ami et compagnon de lutte Victor de Broglie, le père d'Albert de Broglie, Le duc de Broglie, Paris, Hachette. Il sera édité dans un premier temps en deux parties dans la Revue des Deux Mondes, le 15 septembre 1871 et le Ier octobre 1871.

3François-Régis de La Bourdonnaye, comte (1867-1839), député d'extrême droite de 1815 à 1827 puis membre de l'opposition modérée de 1827 à 1830.

4Louis, François, Marie de Lorgeril (1778-1843). Maire de Rennes de 1821 à 1830, il fut élu député de l'Ille-et-Vilaine de 1828 à 1830, siégeant au centre droit.

5Jean-Baptiste de Martignac (1788-1832), il fut placé par Charles X à la tête du gouvernement du 4 janvier 1828 au 8 août 1829 avant de devoir céder la place à Jules de Polignac (1780-1847) principal responsable aux yeux de Falloux de la chute du régime.

6Joseph, Henri, Joachim Lainé (1867-1835), député de la Gironde de 1815 à 1823 prenant place parmi les modérés.

8Madeleine de Castellane (1847-1934), née Leclerc de Juigné ; sa belle-fille, mariée le 3 avril 1866 avec Antoine de Castellane.

9Juigné, Charles Gustave Leclerc de, comte de (1825-1900), homme politique français. Député de Loire-Inférieure de 1871 à 1898. Légitimiste ardent, il se fit inscrire à la réunion des Réservoirs.

10Ducrot, Auguste Alexandre (1817-1882), militaire et homme politique. Général de division, il commandera quelques jours plus tard la bataille de Buzenval (19 janvier 1871). Élu à l'Assemblée nationale du 8 février 1871 par le département de la Nièvre, hostile à la République, il rejoignit les bancs de l'Union des droites. Nommé commandant en chef de la 8ème armée à Bourges le 1er septembre 1872, il démissionnera de l'Assemblée.

11Emmanuel Félix de Wimpffen (1811-1884), général, il avait participé à la conquête de l'Algérie. De retour d'Afrique du Nord au moment de la guerre de 1870 il avait pris le commandement de l'armée après la blessure du maréchal Mac-Mahon lors de la bataille de Sedan. Il signa la capitulation de son armée le 2 septembre 1870. Conduit en Allemagne comme prisonnier, il revint en France et dut répondre à la cabale de certains officiers qui le rendaient responsable de la défaite de 1870.

12Voir les lettres du 4 et du 6 octobre 1871 du même au même.

13Village de l'Indre-et-Loire.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «17 octobre 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, 1871, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 15/09/2016