CECI n'est pas EXECUTE 12 avril 1880

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12 avril 1880

Edouard de Fitz-James à Alfred de Falloux

St Benezet, 12 avril 1880

Cher Falloux

Me voilà bien en retard avec vous. J'ai reçu votre lettre à Paris où j'ai été passé 15 jours, puis je suis revenu ici. Entre-temps, j'ai été à la Lorie1 mais si peu d'heures que je n'ai pas pu à mon grand regret aller vous voir ! Je suis venu à la Lorie pour louer mon haras. L'affaire n'est pas encore conclue, mais je crois qu'elle se fera et dans de très bonnes conditions. Vous voyez que j'ai tant circulé qu'il m'a été impossible de vous remercier plus vite de votre si bonne lettre qui est venue m'apporter le témoignage constant de votre affection dont je m'honore tant, et que je vous vends de tout mon cœur. Notre conseil général du Gard s'est passé très calmement. Trop calmement pour mon goût. Nous sommes en minorité et mes collègues n'ont pas voulu que nous déposions un feu contre les décrets et qui flétrissait en même temps les agissements dans le Gard de Dumarest2 et de Cazot3. Nos collègues ont pensé, que quelque justifié que fut notre vœu, il n'aurait pour résultat qu'un vote qui serait un triomphe pour ces tristes personnages puisque nous sommes en minorité ! J'ai eu hier une réunion électorale. J'ai tout lieu croire que je serais renommé mais la lutte sera vive.

Vous pouvez vous figurer tout ce qu'invente Dumarest pour terrifier mes électeurs. Mais il ne se décourage pas, loin de là, ils sont enragés ce pays ci a cela de bon qu'on ne se laisse pas intimider. La foule méridionale se surexcite devant la persécution. J'ai plus à calmer mes électeurs qu'à les pousser.

Avec une bonne direction que ne ferait-on pas de ces pays-ci mais hélas ! c'est ici comme partout. Monsieur le comte de Chambord se paie de démonstrations excellentes, chevaleresques, mais inutiles ! Et ses représentants restent cois dans leur petite prébende sentimentale.

Je ne sais si j'arriverais jamais à me faire nommer plus que conseiller général. C'est possible, mais j'en doute. En tout cas je fais ce que je peux et je crois que je suis mur pour aller dans nos assemblées si Dieu le permettait. Je serai même bientôt trop vieux. Si je n'y arrive pas, vos lettres témoigneront à mes enfants que j'en étais capable. Je ne saurai, mon cher Falloux, laisser un plus précieux témoignage.

Je serai de retour dimanche prochain à Paris. Je retournerai bientôt à la Lorie et en grande partie pour vous voir. Je suis chargé d'une communication pour vous au sujet de la caisse royaliste qui se fonde. Vous en avez peut-être déjà entendu parler ? Je vous demande de ne pas vous prononcer avant de m'avoir entendu. Tout ce que je peux vous en dire par lettre c'est que je trouve que la manière dont cela se traite est bonne, que les hommes qui s'en occupent sont intelligents et pratiques. L'idée de cette caisse est de longue date. Elle n'a jamais pu se faire vu les moyens toujours chevaleresques mais peu pratiques employés. Aujourd'hui c'est tout autre chose et je considère ce que l'on a fait comme une véritable victoire dans l'ordre de nos idées. C'est Aubry4 le banquier et Mr Bontoux5 qui ont obtenu ce résultat. Il a fallu triompher des résistances opiniâtres de certains correspondants. Comme résultat déjà acquis il y a déjà près de 4 millions dans la caisse. Je n'ai plus qu'une crainte, c'est ou qu'on ne s'en serve pas, ou qu'on s'en serve mal à propos.

Je suis bien heureux des meilleures nouvelles que vous me donnez de Madame de Caradeuc. Veuillez lui faire ainsi qu'à Mademoiselle Loyde mes plus respectueux et très affectueux souvenirs. À bientôt, mon cher Falloux, je vous aime bien.

Duc de Fitz-James

1Les Fitz-James, demeurent dans leur château de la Lorie, près de Segré, en Maine-et-Loire, et donc voisins de Falloux auquel ils étaient liés d'amitié.

2Dumarest, Paul Benoît (1833-1882), avocat et homme politique. Journaliste de conviction républicaine, il sera nommé préfet du Gard au début de la République sous le gouvernement de Thiers. Révoqué par A. de Broglie au moment de l'Ordre Moral, il sera réintégré à son poste en 1876. Il était honni des légitimistes pour son anticléricalisme déclaré.

3Cazot, Jules, Théodore (1821-1912), homme politique. Démocrate socialiste sous la Seconde République, candidat malheureux dans le Gard à plusieurs reprises sous l'Empire, il intégra l'équipe de Gambetta dés la proclamation de la République et représentera le Gard de 1871 à 1875 à l'Assemblée nationale. Élu sénateur inamovible dés 1875, il dirigera le ministère de la Justice du 28 décembre 1879 au 30 janvier 1882.

4Aubry, Maurice Claude (1820-1896), journaliste, banquier et homme politique. Avocat en 1845, il élu député des Vosges de 1849 à 1851 et siège à droite. Hostile au coup d'état, il quitte la scène politique pour fonder une banque, la Société des dépôts et des comptes courants. Réélu dans les Vosges de 1871 à 1876, il s'inscrivit à la Réunion des Réservoirs et au Cercle Colbert, deux cercles légitimistes. Il se montra partisan d'une fusion entre légitimistes et orléanistes.

5Bontoux, Paul Eugène (1820-1904), industriel, banquier et homme politique. Monarchiste, il avait fondé en 1878 l'Union générale, une banque catholique qui suite à de multiples opérations de spéculation allait s'effondrer en janvier 1882 entraînant avec elle la faillite de plusieurs agents de change de la Bourse de Lyon puis de la Bourse de Paris.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 avril 1880», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1880,mis à jour le : 06/01/2017