CECI n'est pas EXECUTE 30 avril 1869

Année 1869 |

30 avril 1869

M. Bouin à Pauline de Castellane

30 avril 1869*

Je me suis engagé, Madame, à vous parler des élections de la Vendée auxquelles vous vous intéressez1. Comme vous le pensez bien, la matière électorale est partout en ébullition. J'étais hier à Nantes où j'ai vu plusieurs personnes influentes de l'arrondissement des Sables2. M. de Falloux s'étant tout à fait défendu d'avoir eu l'intention de critiquer la politique de M. le comte de Chambord, est définitivement admis comme candidat, en remplacement de M. de La Poëze3. M. de Falloux est attendu, dimanche prochain, je crois, chez M. de La Rochette4 à Nantes, où il y aura un dîner avec 24 à 25 invités5. Aux yeux de nos amis de la circonscription des Sables, la nomination de M. de Falloux paraît largement assurée6. Le pauvre M. de La Poëze a le grand tort d'avoir peu d'éloquence, et de mettre trop en avant sa confiance dans l'Empereur, alors que ce dernier est précisément l'auteur véritable de la détresse du Saint-Père. La candidature de M. Keller marche aussi très bien. L'administration préfectorale ne compte pas obtenir pour son candidat plus du tiers du total des voix. Dans bien des communes M. Keller aura l'immense majorité, et dans plusieurs l'unanimité. Il y a vers nous des retours inattendus, incroyables. Je ne sais s'il est à votre connaissance que chez M. de Sainte-Hermine7 apoplectique l'intelligence a considérablement baissé ; un de ses bons camarades, et que je connais beaucoup, écrivait dernièrement, mon pauvre ami Sainte-Hermine est fini. A côté de M. Keller8 se présente aussi l'aventureux, l'entreprenant Arthur Alquier9. Ses voisins s'amusent de cette candidature, il est vrai, mais il est moins connu au loin ; on soupçonne fort qu'il est au fond le candidat préféré du ministère, et que s'il y avait un second tour de scrutin, M. de Sainte-Hermine serait abandonné et Alquier protégé et mis en lumière. Celui-ci n'a pas encore publiée sa profession de foi, mais on m'a dit qu'il s'y présente comme libéral dynastique, et dans la conversation comme démocrate attaché aux principes de la Révolution. Il prétend que ses arrangements avec le Père Desbrousse10 l'ont rendu possesseur de trois millions de fortune, cent cinquante mille fr. de rente. Il parle de réparer les ruines du passé, mais sa légèreté, son inconsistance, sa prodigieuse habitude du mensonge font que tous ceux qui le connaissent n'ont aucune foi en ce qui avance ; cependant il répand réellement pas mal d'argent ; il a acheté un journal du département à Napoléon-Vendée, le Publicateur de la Vendée. St Meleuc eut voulu s'en rendre maître, M. Keller est arrivé trop tard. Alquier l'a payé, ou plutôt a fait le cautionnement du journal, huit mille francs, fournis précédemment par St Meleuc qui l'a réclamé pour embarrasser le journal. Alquier annonce à chacun que s'il réussit son beau père lui donnera un million, argent, et que dans trois mois il sera chambellan de l'Empereur, qui l'affectionne particulièrement. Les grosses ficelles d'Alquier font sourire mais l'homme n'est pas novice en intrigues. Par exemple un de ses hommes-liges, cuisinier, débile aux gens du peuple que cette amitié particulière du souverain et très vraie, que lui, garçon de cuisine chez un célèbre restaurateur à Paris, portant pour son patron des plats chez l'Empereur, a vu souvent, dans la salle à manger, à côté de l'Empereur, M. Alquier avec un manteau tout couvert d'or. C'est affreusement bête, mais cependant approprié, peut-être, à l'intelligence du paysan, représentant par leurs suffrages l'esprit moderne.

Je crois que dans l'arrondissement de Fontenay-le-Comte, M. Leroux11 vice-président du Corps législatif sera très probablement réélu ; il a pourtant peu fait pour le département. Nos amis n'ont pu trouver un candidat de quelque valeur. M. Dufaure a refusé. M. Keller, s'il est élu même dans le Haut-Rhin optera pour la Vendée ; il a refusé d'être porté à Toulouse !

Mardi ou mercredi de cette semaine Melle Valerie12, sœur d'Arthur Alquier a dû être mariée à De Hillerin du Boistissandeau13, son oncle breton. Je ne sais s'ils feront part de ce mariage, de cette union de la faim et de la soif. De Hillerin était veuf d'une dame veuve de Thalouët, il a eu de drôles d'histoire qu'il serait trop long de vous raconter ; âgé de 64 ans il a pour tout revenu une pension alimentaire faite à lui par un spirituel neveu de sa première femme, Joseph Guéry de Beauregard14 qu'il a adopté pour fils afin de lui transmettre régulièrement par acte authentique, le titre de Marquis qu'il avait lui-même pris sous son bonnet et sur une plaisanterie de Me la Duchesse du Berry. Le Sr de Hillerin étant sans ressource il était juste que le fils nourrit le père. Melle Valerie doit avoir atteint la quarantaine aimable spirituelle, assidue à la lecture du roman et qui a, toute sa vie, rêvé châteaux, a pour toute fortune ses beaux yeux et son espérance en son frère millionnaire. Mr Zenobe pourra, peut-être vous donner plus ample détail. Valérie et sa sœur sont en loyer dans sa propre maison à La Flocelière15 ; tout a été vendu et n'a pas suffi à à payer les dettes de la famille. Arthur annonce que tout sera acquitté et qu'il rachètera le domaine vendu...mais il y a huit jours les choses étaient dans l'état que je vous raconte.

Je ne veux pas terminer sans vous raconter une anecdote, quoique un peu vieille, que je tiens de bonne source sur Mgr l'évêque de Poitiers16 (roseau peint en fer) qui souffrant de l'opposition que les bureaux du gouvernement faisaient à son administration se décida il y a peut-être sur le conseil de quelques amis, à aller faire visite aux Tuileries. L'évêque saisit une occasion et reçu par Napoléon en compagnie de l'Impératrice. Mgr Pie parla tout d'abord des difficultés... Ah ! Oui, que vous avez eu avec mon gouvernement. N'en parlons plus. La causerie s'établit et l'Impératrice parla du futur Concile. Mais Monseigneur se réunira-t-il bien17 ? Mais Madame vous me demandez le secret de l'Empereur ! qui ne souffla mot. Puis l'Impératrice dit encore mais que traitera-t-on donc dans ce Concile ? Madame, vous venez de me demander le secret de l'Empereur, et maintenant vous me demandez le secret du Saint-Esprit !

J'attends en retour de mes « mot illisible> que l'on aura la complaisance de vous informer et de m'apprendre comment s'est terminé l'enlèvement de la femme Desbrousse18 et sa demande de partage avec son mari. C'est ce qui aura sans doute valu à Alquier de recueillir la succession de la mère de sa femme. Vous me direz de quelle réputation jouit le père Desbrousse à Paris, ce hardi, illettré, et luxueux spéculateur en quête de considération et d'illustration.

J'ai dans l'intérêt de ma correspondance, surtout besoin de savoir pour combien de temps vous êtes à Paris. Cela vous obligera à donner quelques instants au souvenir de celui qui aime à se dire, avec la plus respectueuse, la plus touchante et la plus désirable amitié», votre serviteur le plus dévoué.

Mille compliments, je vous prie, à tous les vôtres.

 

 

 

Bouin

 

 

*Archives nationales, Fonds Castellane 616 AP 1 lot 19

1Il s'agit des élections au Corps législatif qui devaient avoir lieu les 23 et 24 mai 1869 et pour lesquelles Falloux s'était décidé, sans grande conviction ni sans pouvoir faire campagne comme il l'avait fait en 1866.

2Les Sables d'Olonne.

3La Poëze, Olivier Charles Marie, comte de (1821-1882), propriétaire en Vendée. Dévoué à l'Empire, il était Chambellan de Napoléon III. Conseiller général de la Vendée, canton de Saint-Fulgent, il était député de la 3e circonscription de Vendée, régulièrement élu depuis 1858.

4Légitimiste, fidèle inconditionnel du comte de Chambord, Emerand de la Rochette (1803-1880) n'a de cesse d'attaquer les idées de Berryer en faveur de la « fusion »et adoptera la même attitude à l'encontre de Falloux et de ses amis. Publiciste, il est le fondateur et le directeur de L'espérance du peuple (1852-1876), organe des légitimistes de Loire-Atlantique.

5Cette information d'un dîner de Falloux chez E. de La Rochette semble peu crédible, compte tenu des rapports pour le moins houleux qu'entretiennent les deux hommes. Sans grande illusion sur l'issue des élections, Falloux ira séjourner au château de La Rochette, demeure du comte Rorthays, à La Motte Achard.

6Falloux se porta effectivement candidat en Vendée, dans la circonscription des Sables d'Olonne. Ayant renoncé à se déplacer dans cette circonscription en raison de ses ennuis de santé, vivement combattu par l'administration locale, Falloux échouera une nouvelle fois. Il obtiendra malgré tout un score plus qu'honorable, 12.250 suffrages, s'inclinant de quelques centaines de voix à peine face à son concurrent qui l'emporta avec 12.757 voix.

7Sainte-Hermine, Élie Jean Émile de (1809-1870), homme politique. Rallié à Louis-Napoléon et partisan du coup d'état, il se présenta à la députation dans la Ière circonscription de Vendée dés 1852 et sera constamment réélu jusqu'en 1869. Mais son élection de 1869 ayant été invalidée, le 9 décembre 1870 il sera remplacé par le baron Alquier.

8Devenu l'un des principaux orateurs du parti « clérical » suite aux affaires d'Italie, bénéficiant du soutien de l'Union libérale, E. Keller avait retrouvé son siège du Haut-Rhin lors des élections de 1869.

9Alquier, Charles Arthur (1824-1871), baron. Candidat « indépendant» dans la circonscription de Fontenay-le-Comte, il fut battu par son adversaire légitimiste, le marquis de Sainte-Hermine. L'élection de ce dernier ayant été invalidée, le baron Alquier sera nommé à sa place le 9 janvier 1870. Marié à Marie Catherine Debrousse (1844-1883).

10Debrousse, François-Hubert (1805-?).

11Leroux, Charles Marie Guillaume (1814-1895), avocat et propriétaire à Soulieu (Deux-Sèvres). Maire de Cerizay, favorable à l'Empire, il fut élu dans la 3ème circonscription des Deux-Sèvres dés 1860, siégeant avec la majorité dynastique. Il sera réélu jusqu'à la chute de l'Empire.

12Alquier, Valérie Louise (1829-1917).

13De Hillerin de La touche de Boistissandeau, marquis (1806-1878).

14Beauregard, Joseph de Guerry, marquis de Breauregard de Hillerin de Boistissandeau (1834-1909).

15La Flocelière, commune de l'arrondissement de Fontenay-le-Comte, en Vendée.

17C'est le 29 juin 1869 que Pie IX convoqua au Vatican un concile œcuménique dont l’ouverture fut fixée au 8 décembre 1869.

18Debrousse, Catherine (1841-1883), mariée au baron Charles Alquier en 1860.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «30 avril 1869», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1869,mis à jour le : 05/12/2017