1880 |
6 juin 1880
Alfred de Falloux à Pauline de Castellane
6 juin 1880*
Chère Madame,
Me voici à bon port au Bourg d’Iré après une station à Angers. Personne n’a pu me donner un pronostic sérieux sur le scrutin d’aujourd’hui à Brest1, sinon que l’évêque2 a manqué brusquement à deux ou trois cérémonies religieuses pour lesquelles il s’était promis cette semaine. Cette mauvaise humeur ne paraissait pas de bon augure mais elle pouvait prévenir aussi des mésaventures qu’il ne manque jamais de s’attirer comme à plaisir. Les journaux radicaux de Brest lui ont reproché d’avoir refusé en 1871 aux mobilisés bretons la maison de campagne du séminaire pour y soigner les malades. Mgr Freppel a répondu lui-même à ces journaux qu’on ne lui avait jamais rien demandé pour aucun breton, à quoi on a aussitôt répliqué en publiant la lettre officielle de demande avec un récit détaillé et tous les noms propres de la scène du refus, qui, selon l’habitude Frépellienne avait été tout de suite accompagné de gros mots. Tout cela est reproduit à Angers par Le Patriote3 depuis 48 h. et à mon départ l’évêché n’avait encore envoyé aucune explication.
J’ai trouvé Madame de Caradeuc4 de plus en plus affaiblie ; on me dit que mon arrivée l’a beaucoup troublée. Je vais donc attendre quelques jours pour vous donner une impression plus précise et savoir au juste ce qu’il y avait d’accidentel ou de permanent dans l’état d’hier.
Merci mille fois du jugement5 du général Trochu6 qui me touche beaucoup ainsi que celui de Radziwill7. Le comité Chesnelong ne m’a jamais parlé de faire imprimer mon discours et je ne lui ai point demandé. Je trouve ici une lettre de mon frère8 disant qu’à Rome les nouvelles sont de plus en plus tristes au point de vue de la Prusse, de la Belgique et de la France ; il ne parle de sa visite cette année qu’en termes fort douteux.
Reposez-vous bien avant les eaux et ne recevez ni évêques ni archevêques nous vous en supplions tous chère chère Madame.
A. de F.
*Archives nationales. Fonds Castellane.
1Mgr Freppel, encouragé par plusieurs personnalités catholique mais contre l’avis du nonce, Mgr Czacki, s’était porté candidat à l’élection partielle du 6 juin 1880 dans la circonscription de Brest (Finistère). Il sera finalement élu à une forte majorité.
3Le Patriote de l’Ouest, journal républicain d’Angers, « organe de la démocratie angevine ».
4Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), belle-mère d'Alfred de Falloux.
5Le 27 mai 1880, Falloux était venu à Paris où il avait prononcé, rue de Grenelle, un important discours dans lequel il faisait part de ses vives inquiétudes sur l'avenir de la religion catholique et fustigeait les menaces pesant sur l’Église.
6Trochu, Louis Jules (1815-1896), général français. Aide de camp de Bugeaud, puis du prince Louis-Napoléon, il vota néanmoins contre l'Empire, mais n'en fut pas moins nommé colonel, puis général (1854). Nommé gouverneur de Paris pendant la guerre franco-allemande de 1870, il devient, suite à la proclamation de la République, président du Gouvernement de la défense nationale, le 4 septembre 1870. Soupçonné d'incapacité, on exige sa destitution le 19 janvier; il démissionnera trois jours plus tard après une fracassante déclaration au cours de laquelle, il suggère la capitulation.
7Le prince Anton Radziwill (1833-1904), auquel Marie de Castellane, la fille de Pauline de Castellane est mariée depuis 1860.
8Mgr Frédéric de Falloux.
