CECI n'est pas EXECUTE 13 novembre 1877

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13 novembre 1877

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

13 novembre 1877

Cher ami, je suis tombé en plein dans le piège que me tendait votre première phrase, et j’ai été consterné des premières lignes. Aussi jugez de ma reconnaissance lorsque j’ai reconnu à quelle bonté j’avais affaire et avec quel soin votre généreux confident venait à mon secours !Je n’avais pas voulu vous rappeler que toutes les pages de mon Cochin1 avaient été, avant l’impression, soumise à un théologien de Paris parce que je ne voulais pas avoir l’air de décliner ni décliner en effet une autre juridiction. Mais le parisien qui m’avait pleinement rassuré ne m’avait pas donné toutes les raisons de ma sécurité. C’est à vous seul et à votre voisin, à qui je ne puis offrir assez de remerciements, que je devrais désormais me sentir armé de toutes pièces. Soyez sûrs tous les deux que je n’en abuserai pas et que j’en jouirai surtout dans le fort intérieur ; mais c’est déjà beaucoup !

Quant à la nuance qui nous sépare encore, je voudrais la dissiper amante. La préférence pour la lettre purement filiale ou pour l’expression publique doit dépendre selon moi de l’intérêt de la question et du prix qu’on y attache. S’il s’agit d’un intérêt général est élevé, dans la sphère libre bien entendu, la publicité, je le crains, a seule chance d’obtenir un résultat efficace. Je vous ai cité le P. Curci2: c’est un vieillard de 75 ans dont la carrière était remplie de preuve de zèle et de science, et quelques fussent être ses illusions de fête, la pureté de son intention ne pouvait être douteuse. Il ne pouvait y avoir là ni veuve Merrimau ni aucune autre turpitude. On pouvait donc, sans accueillir sa lettre, mettre au bas : inspiration d’un zèle qui s’égare,–mais vous savez au contraire qu’elle est l’unique mot qui lui a servi de résumé. Il en arrive presque toujours ainsi, sous une forme ou sous une autre, des communications confidentielles à un homme, quel qu’il soit, qui a tous les devoirs, toutes les responsabilités et tous les soucis de la souveraineté. Quand on a recours à une publicité discrète et respectueuse sur des questions graves mais libres, il en arrivait tout autrement : le souverain3 ne vous lit même pas, Mais ses conseillers vous lisent ou sont avertis ; la question est remise sur le tapis, et ne fusse que par l’envie de mettre le téméraire en pénitence, des débats contradictoires s’établissent et la vérité qui peut succomber peut aussi loyalement s’ouvrir un chemin et atteindre le but. Il y a donc là de quoi tenter un cœur chrétien, et sur cette nuance importante je demande encore l’absolution, et surtout je remercie de nouveau du fond du cœur.

Alfred

1Falloux venait de rédiger une biographie sur son ami.

2Le Père Carlo Maria Curci (1809-1891) est le premier directeur de la revue fondée en 1860 avec l'appui de Pie, Civiltà Cattolica, une revue jésuite très hostile aux catholiques libéraux.

3Sans doute s’agit-il du comte de Chambord.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «13 novembre 1877», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1877,mis à jour le : 27/09/2018