CECI n'est pas EXECUTE 7 mars 1876

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7 mars 1876

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

7 mars 1876

Cher ami, je recouvre bien lentement la parole et le peu que j’en ai retrouvé, ces jours-ci, je l’ai employé en discours perdus contre M. Janvier1. Notre commune a été l’une des meilleures et cependant elle a donné 104 voix silencieuses, sans une seule paternité avouée, au candidat que personne ne défendait. Vous savez que je n’ai jamais eu d’illusions sur le suffrage universel, mais nous venons d’avoir l’échantillon le plus démonstratif contre lui-même, et nous pensions les yeux grands ouverts, si nous [mot illisible] à mettre dans cette boîte à surprises le oui ou le sur les lois les plus élémentaires de toute société2.

Je ne sais pas encore le résultat des batailles, sauf dans Maine-et-Loire où ils ont été bons, hormis le nôtre. J’ignore le Cantal et le Morbihan, mais ils ne changeront rien au résultat général qui pourrait être un grand salut, puisqu’il est une grande leçon. Vous avez depuis longtemps que je n’entends pas le salut dans le sens étroit que beaucoup d’entre nous ont l’habitude de lui donner. Le salut ne viendra pas plus du comte de Chambord que de Don Carlos3: ce sont des narcisses imbéciles qui ont vécu et qui mourront dans la contemplation d’eux-mêmes. Mais j’entends le salut dans le sens d’une société nouvelle, voulant donner une application sincère à la justice et à l’égalité selon l’Évangile. La gauche est maintenant en mesure de réaliser ce problème, le bon grain et l’ivraie vont s’y partager la majorité, la peur sera là aussi pour servir de commencement à la sagesse, et nous allons, en tout cas, assister à un grand spectacle, quel que soit le prix des places. Quoi qu’il advienne, ce sera un grand soulagement de conscience et de cœur de penser que nous ne sommes plus là pour fausser toutes les questions et afficher toutes les naïvetés du plus aveugle égoïsme.

Rien de décisif non plus sur l’hospice Swetchine4; dès que j’en saurai quelque chose de plus, je vous le dirai dans mon prochain gémissement, et je vous embrasse en attendant.

Alfred

1Motte, Louis Eugène Janvier de la (1849-1894), grand propriétaire, maire de Juvardeil (Maine-et-Loire) et conseiller général du canton de Chateauneuf-sur-Loir (Maine-et-Loire). Se présentant comme bonapartiste, il sera élu au 2ème tour de 1876.

2Moins d'un mois après la victoire obtenue par les candidats républicains aux élections sénatoriales du 30 janvier 1876, le premier tour du scrutin législatif du 20 février confirmait la progression du sentiment républicain devenu désormais majoritaire dans le pays, au grand désespoir des conservateurs. Au soir du deuxième tour, le 5 février 1876, 340 sièges seront républicains, les conservateurs devant se contenter de 155 sièges (dont 94 aux seuls bonapartistes).

3Don Carlos, Maria de los Dolores Juan Isidro José Francisco Quirino Antonio Miguel Gabriel Rafael de Bourbon dit (1848-1909), prétendant au trône d'Espagne suite à l'abdication en 1868 de son père, l'Infant Don Juan. Il avait été à l'origine de l'insurrection carliste contre la jeune Isabelle II.

4Fondé à Segré par A. de Falloux en 1864, l’hospice de Swetchine était au centre d’une vive polémique avec l’évêque d’Angers, Mgr Freppel. Voir lettre de Falloux à Mme de Castellane du 31 janvier 1876.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «7 mars 1876», correspondance-falloux [En ligne], 1876, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 03/10/2018