1882 |
5 février 1882
Alfred de Falloux à l'abbé Couvreux
5 février 1882*
Cher Monsieur l’abbé,
Je félicite les Radziwill de leur ambassade à Constantinople. Le Prince1 va recevoir de beaux diamants qu’il mettra, je l’espère, dans la corbeille de Belka2 et Georges3 va jouir de curieux spectacles, comme on en jouit à son âge. Si l’abbé Lagrange4, en santé ordinaire, mécontentait tant ses lecteurs, qu’est-ce que cela va devenir maintenant que sa plume est malade ? Décidément, nous n’avons pas de chances et l’affaire Bontoux5 en est une nouvelle preuve. C’est l’exact répétition de Law6, y compris la banqueroute du Père Lavalette7, car on m’affirme que les jésuites avaient mis là tout le produit de la vente de leurs établissements. Rochecotte sait-il quelque chose de certain là-dessus ?
Made de Castellane m’ayant engagé dans la voie d’une préface, j’avais supposé qu’elle se disait : je connais les limites que M. de T ne franchira pas et les exemples qu’il ne suivra jamais. Elle s’avance moins que je ne croyais et m’annonce par vous qu’elle attend de m’avoir vu. Remerciez la vivement de ma part de ce témoignage d’aveugle confiance.
Mlle Dubois8 sera sans doute bien aise d’apprendre que la situation de ses parents Chopin, à La Lussière, vient d’être définitivement réglée. Je viens de signer un mode de résiliation qui leur est très avantageux, et, dans lequel, je fais des sacrifices considérables. Probablement, cela ne les empêchera pas d’achever de se miner mais du moins ce sera chez les Quatrebarbes et ce ne sera plus chez moi.
Made de Caradeuc9 est en bien mauvaise veine. Pour moi, je prends des Eaux bonnes deux fois par jour et n’ose sortir d’un temps pareil.
Mille vœux pour tout Rochecotte.
Falloux
*Archives nationales. Fonds Castellane.
1Frédéric-Guillaume-Antoine, prince Radziwill (1833-1904), militaire prussien. Il venait d’être envoyé comme diplomate à Constantinople.
2Elizabeth Radziwill dite Belka (1861-1950), fille aînée de Marie Radziwill.
3Georges Radziwill (1860-1914), fils aîné de Marie Radziwill.
4François Lagrange (1827-1895), secrétaire de Mgr Dupanloup; vicaire général d'Orléans en 1860, chanoine titulaire de Paris en 1880, évêque de Chartres en 1889. Il venait de publier une importante biographie de Mgr Dupanloup, Vie de Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, 3 vol., Paris, 1883-1884.
5Paul Eugène Bontoux (1820-1904), industriel, banquier et homme politique. Monarchiste et catholique, il avait fondé , en 1878 une banque catholique, L'Union générale, qui suite à de multiples opérations de spéculation s'était effondrée en janvier 1882 entraînant avec elle la faillite de plusieurs agents de change de la Bourse de Lyon puis de la Bourse de Paris.
6John Law de Lariston (1671-1729), banquier et économiste écossais. Espérant résoudre les problèmes d’endettement de la France au lendemain de la mort de Louis XIV, le Régent avait fait appel à ses services l’autorisant à créer en 1816 la Banque générale et à émettre du papier-monnaie contre de l’or. Mais certains de ses ennemis ayant poussé à la spéculation, le système Law ne tarda pas à entrer en banqueroute (mars 1720), les déposants se défiant de ce nouveau papier-monnaie demandèrent à réaliser leurs avoir en or et en en argent.
7Antoine Lavalette (1708-1762), père jésuite qui fut à l’origine d’un scandale financier compromettant pour la Compagnie de Jésus.
8Secrétaire de Pauline de Castellane.
9Emilie-Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), belle-mère de Falloux. Elle était gravement malade.
