1883 |
10 décembre 1883
Alfred de Falloux à Pauline de Castellane
10 décembre 1883*
Chère Madame,
Je reçois ce matin une longue lettre de M. de Soland qui me fait considérer comme à-peu-près définitive ma déroute dans la visite qu’ils ont été faire samedi, mais à ce chagrin il ajoute une consolation que je compte pour beaucoup, c’est que, si vous n’êtes pas sûre d’avoir à Tours votre candidat personnel vous êtes du moins assurée de n’avoir pas ce dont vous avez été menacée. Je considère comme très heureux pour le diocèse que M. de Soland ait pu faire parler ses véritables intérêts et vous voilà, ce me semble, à l’abri de tout choix véritablement fâcheux. Y a-t-il quelque rapport entre la vacance de Tours1 et le discours de Mgr Freppel à la réunion des droites où il avait fait convoquer Cassagnac2 afin d’y venir voter contre les crédits du Tonkin. Mais dans l’intervalle qui s’est écoulé entre ce jour-là et celui de la réunion, il s’est, selon son habitude, retourné de la tête à la queue. Il a parlé et il a voté préventivement pour l’adoption des crédits sous prétexte des missionnaires. On lui a fait observer qu’il y avait des missionnaires et des chrétiens beaucoup plus nombreux en Chine et qu’ils seraient dans la situation la plus dangereuse si le gouvernement armé de nouveaux crédits, entrait en guerre ouverte avec la Chine. Rien de l’a fait démordre. J’ai lu le Pontmartin venant de L’Union de l’Ouest. Veuillez donc vous contenter de me garder la lettre publiée par l’Indre-et-Loire3. Je l’ai lu manuscrite. Est-ce que c’est Biencourt4 qui commet la mauvaise action de la publier ? Ceci me ramène à l’affaire Bontoux5, dont vous parliez comme récemment aggravée dans votre dernière lettre, ainsi que l’état financier des Fitz-James6. Quels détails aviez-vous sur ces deux tristesses qui m’intéressent beaucoup, vous le savez ? Vous devez recevoir par le même courrier L’Univers qui ne manquera pas de vous réconcilier avec la correspondance de Louis Veuillot. Veuillez me renvoyer ce numéro dès que vous l’aurez suffisamment lu car je n’en ai point d’autre, Cumont ayant à l’Epinay7 celui de L’Union de l’Ouest. Remerciez bien Madeleine8 des bonnes nouvelles du blessé, celui-là est vraiment votre enfant à toutes deux par les opérations de la charité.
A. de F.
*Archives nationales. Fonds Castellane.
1Mgr Colet, archevêque de Tours venait de décéder (27 novembre 1883) laissant le siège vacant. Voir lettre du 21 décembre 1883.
2Cassagnac, Paul-Adolphe-Marie de Granier de (1842-1904), écrivain, historien et homme politique français. Élu député de la circonscription de Mirande (Gers) en 1881, il s'opposa aux lois scolaires et à la politique coloniale du gouvernement. En 1883, une vive altercation avec Jules Ferry à propos de l’affaire du Tonkin lui vaudra d’être exclu de la Chambre.
3Journal d’Indre-et-Loire.
4Biencourt, Charles, marquis de (1826-1914). Entré comme administrateur dans L’Union générale, banque catholique, il sera contraint de dédommager, sur ses biens propres, les créanciers et les actionnaires ruinés à la suite du krach de la dite banque (19 janvier 1882).
5Paul Eugène Bontoux (1820-1904), industriel, banquier et homme politique. Monarchiste et catholique, il avait fondé, en 1878, une banque catholique, L'Union générale, qui suite à de multiples opérations de spéculation s'était effondrée en janvier 1882 entraînant la faillite de plusieurs agents de change de la Bourse de Lyon puis de la Bourse de Paris.
6Fitz-James, Édouard, Antoine, Sidoine de (1828-1906), propriétaire du château de la Lorie, près de Segré, en Maine-et-Loire, et donc voisin de Falloux auquel il est lié d'amitié. Comme beaucoup de membres de l’élite catholique, l’ami de Falloux avait pris des parts dans la banque fondée par Bontoux (cf note supra).
7Château de L’Epinay, propriété d’Arthur de Cumont à Saint-Georges sur Loire (Maine-et-Loire).
8Madeleine de Castellane (1847-1934), née Leclerc de Juigné ; elle était, depuis le 3 avril 1866, l'épouse d'Antoine de Castellane.
