CECI n'est pas EXECUTE 21 avril 1872

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21 avril 1872

Prosper Mesnard à Alfred de Falloux

Angers, le 21 avril 1872

Monsieur le comte,

Je m’empresse de vous envoyer les différents renseignements que vous m’avez demandés.

1° C’est dans sa correspondance, tome I, p. 138 que M. de Maistre1 traite Pie VII2 de polichinelle, le passage se trouve très exactement cité dans l’ouvrage3 de M. d’Haussonville4, tome I, p. 382.

2° Vous trouverez dans les soirées de Saint-Pétersbourg, tome II, 10e entretien, p. 234, les réflexions de M. de Maistre sur la Superstition.

3° Il m’a été difficile de me procurer les deux articles de M. Louis Veuillot sur le père Hyacinthe5 et sur M. Cochin. Il paraît qu’on ne collectionne guère L’Univers. Ses amis le lisent et le dicteront après. C’est presque réparer le mal qu’ils font en le lisant, cependant après bien des pas et démarches dans les différents presbytères de notre ville, j’ai fini par mettre la main sur les deux numéros demandés.

Je vous envoie le texte imprimé de celui qui parle de Monsieur Cochin et la copie de celui de M. Veuillot qui annonce la chute du père Hyacinthe.

 

Mercredi 22 septembre 1869

 

Le père Hyacinthe sort de son couvent et de son ordre, et n’a plus qu’un pas à faire, s’il ne l’a déjà fait, pour sortir de l’église. Il en informe le public dans une lettre d’hier, adressée, dit-il, au général des Carmes, mais en réalité écrite, comme tous les documents de ce genre, pour les journaux, et communiquée immédiatement au Journal des Débats, qui l’imprime ce matin.

Nous n’avons pas la date de la chute ; il y a peu longtemps que ce médiocre fruit est détaché. L’événement, hélas ! ne surprendra personne. Les dernières conférences de l’Avent le laissaient assez prévoir ; le discours au Congrès de la paix et assez d’autres indices l’indiquaient en quelque sorte formellement.

Quant aux motifs, on va les lire. Ce qu’ils dénotent surtout, c’est un pauvre cerveau. Ce docteur qui depuis deux ans faisait de si bas sacrifices à la popularité se prétend persécuté et proteste contre « ces doctrines et ces pratiques qui se nomment romaines, mais qui ne sont pas chrétiennes, et qui dans leurs envahissements toujours plus audacieux et plus funestes, tend à changer la constitution de l’Église. »

Cela n’est pas nouveau et d’autres « protestants » ont à lui répondre plus que ce dont il se sépare. Les catholiques se contenteront de montrer qu’il a suivi une voie logique et que son point de départ devait le mener où le voilà.

Quant à lui, désormais dépouillé du saint habit qu’il jette sur le chemin de la pensée moderne, il ne tardera pas à connaître, sinon l’erreur de son cœur du moins celle de sa vanité.

Le P. Hyacinthe recevait un certain éclat de cet habit dont il s’est fait une parure au lieu de s’en faire une armure; mais ce sera peu de choses que M. Loyson. Il peut compter qu’il a fait sa dernière phrase retentissante et il ne créera pas même le Jacintisme. C’est fini, le vent emporte la nuée sans eau.

Louis Veuillot

 

Je sais avec empressement l’occasion de cette lettre, pour vous remercier des deux volumes que vous m’avez offerts. Ils seront pour moi un sensible souvenir de la bonté que vous m’avez toujours témoigné et que je n’oublierai jamais.

Veuillez agréer, Monsieur le Comte, l’assurance de mon profond respect et de mon entier dévouement.

Pr. Mesnard

1Maistre, Joseph de (1753-1821), philosophe. Savoyard, il était sujet du roi de Piémont-Sardaigne. Magistrat au Sénat de Savoie comme son père, il quitta la Savoie à l'arrivée des troupes françaises en septembre 1792 et se réfugia en Piémont puis en Suisse. Il publia, en 1797, son premier ouvrage Les considérations sur la France. Rentré en Italie en 1799, il fut chargé par le roi de Sardaigne de le représenter auprès du tsar. Il resta en poste à Saint-Pétersbourg jusqu'en 1817. Revenu en Italie, il mourut à Turin. Auteur de plusieurs ouvrages, Essai sur le principe générateur des constitutions politiques (1814), Du Pape (1819) et Les Soirées de Saint-Pétersbourg (ouvrage publié en 1821 peu après sa mort), De Maistre, comme De Bonald, refusa tout compromis avec les principes nouveaux issus de la révolution. Mme Swetchine et Joseph de Maistre avaient lié connaissance en Russie.

2Barnaba Niccolò Maria Luigi Chiaramont (1742-1823) devenu pape en 1800 sous le nom de Pie VII.

3D’Haussonville, Joseph Othenin Bernard de Ckéron comte d’, L’Église romaine et le Premier Empire 1800-1814, Michel Lévy frères, 1870, 4 vols.

4Haussonville, Joseph Othenin Bernard de Cléron, comte d’ (1810-1884), diplomate et homme politique. Il commença sa carrière de diplomate comme attaché à l’ambassade de France à Rome auprès de Chateaubriand en 1929. Après la révolution de 1830, il continua sa carrière diplomatique à Bruxelles, Turin et Naples. Il avait épousé en 1836 la sœur d’Albert de Broglie, Louise Albertine de Broglie. Ayant démissionné de ses fonctions de secrétaire d’ambassade en 1842, il se fit élire à la Chambre des Députés (collège de Provins). Ayant protesté contre le coup d’état du 2 décembre, il se réfugia quelque temps à Bruxelles. Collaborateur de la Revue des Deux Mondes, il fut l’un des chefs de file de l’Union libérale. Le 29 avril 1869, il fut élu à l’Académie française. Après la chute de l’Empire, il se tint à l’écart de la vie politique. Le 15 novembre 1878, il fut néanmoins élu, en tant que républicain conservateur, sénateur inamovible.

5Charles Loyson dit Père Hyacinthe venait d'annoncer par une lettre publique, le 20 septembre 1869, sa décision de quitter le Carmel. Elle fut très durement ressentie par les catholiques libéraux auxquels il était très lié et qui lui vouaient une profonde admiration. La déception et la surprise furent telles que certains de ses proches ne désespéraient pas de le voir revenir un jour dans l'Église. Ainsi de Falloux qui écrivit «J'espère donc, quoique bien faiblement, qu'étant sorti si brusquement de la double solitude de la méditation et du cloître, il va s'épouvanter, se dégoûter des tristes réalités qui l'enveloppent et reprendre son vol vers les sommets. Dieu le veuille et nous le rende. J'en jouirai vivement comme chrétien et aussi comme ami, car tout ce qu'on connaissait de lui était attachant». Cité par J.-R. Palanque, Catholiques libéraux et gallicans en France face au Concile du Vatican 1867-1870, Aix-en-Provence, 1962, n. 145, p. 96-97. Mais tout espoir de voir le P. Hyacinthe réintégrer l'Église s'éloigna définitivement lorsque fut connu son mariage, en 1872.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «21 avril 1872», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1872,mis à jour le : 06/03/2020