CECI n'est pas EXECUTE 24 juin 1880

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24 juin 1880

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

24 juin 1880

Cher ami,

Vous avez eu la bonté de m’envoyer L’Union au moment même où j’allais vous la demander non pour lire Don Carlos1, que L’Univers n’avait pas manqué de me donner et dont je reconnais volontiers l’innocence dans cette affaire, mais pour lire M. de Lupé2, que L’Univers avait aussi fort célébré, mais sans le citer. Comme on sent que tous ces gens-là parlent et agissent pour de l’argent, sans le moindre souci du résultat de leurs paroles et de leurs actes, au point de vue de leur cause ! Voilà les Veuillot3, les mêmes Veuillot qui ont fondé L’Univers pour répéter chaque jour avec Montalembert que le premier intérêt de la religion était de repousser toutes les solidarités avec les dynasties et leur politique, professent aujourd’hui qu’il n’y a plus de salut pour l’Église de France, si elle ne se subordonne à une politique étroitement exclusive et si elle ne se personnifie dans un prince, qui n’a jamais su lui-même ni faire goûter ni faire prévaloir la monarchie ! Voilà M. de Lupé qui, comme Saint-Chéron, comme Laurentie, comme Poujoulat, condamne énergiquement M. le comte de Chambord dans ses conversations privées et qui, dans son langage public, ne se contente pas de lui sacrifier les vrais intérêts de la royauté, mais se joue également de la religion est en fait litière pour recueillir du même coup quelques applaudissements de salon et le nombre de billets de banque nécessaires pour y passer joyeuse vie ; et l’on s’étonne que des causes qui se choisissent de tels défenseurs succombent !

Vos vœux pour mes pauvres foins ne se sont pas réalisés et le baromètre vient encore de baisser cette nuit. Le blé lui-même commence à ce trouver en péril ; il était magnifique, du moins autour de nous, mais il se couche déjà par petites places sous le poids de la plaie et menace de se coucher tout à fait si la plaie continue.

Veuillez me tenir toujours au courant de ce que deviennent les pauvres jésuites4. Si on ne plaignait que les gens qui ne méritent pas leur sort, qui plaindrait-on, à commencer par soi-même !

Alfred

1Don Carlos, Maria de los Dolores Juan Isidro José Francisco Quirino Antonio Miguel Gabriel Rafael de Bourbon dit (1848-1909), prétendant au trône d'Espagne suite à l'abdication en 1868 de son père, l'Infant Don Juan. Il avait été à l'origine de l'insurrection carliste contre la jeune Isabelle II. Le soupçonnant d’intrigues légitimistes, le gouvernement français ordonne son expulsion le 18 juillet 1881.

2Mayol de Lupé, Henri (1841-1916), écrivain et homme politique français. Légitimiste, fidèle partisan du comte de Chambord et ayant refusé de prêter serment à Napoléon III, renonçant ainsi de fait à une carrière militaire en France. Il partit néanmoins combattre en Italie, se mettant au service d’un Bourbon, François II, roi de Naples, puis au service du Pape.

4Il s’agit de l’éxécution des décrets d'expulsion des congrégations (29 mars 1880) et en particulier de l'expulsion des Jésuites (29 juin 1880).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «24 juin 1880», correspondance-falloux [En ligne], 1880, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 21/03/2020