CECI n'est pas EXECUTE Juillet 1885

1885 |

Juillet 1885

Albert de Rességuier à Alfred de Falloux

Dieppe, Seine inférieure, rue Aguado, 14 bis, [début] juillet 1885

Cher ami, je suis charmé de vous savoir satisfait de votre ermitage au milieu des sapins ; mais je n’en trouve pas moins bien déplaisant que nous ayons été envoyés tous les deux, en Normandie pour y être relégué si loin l’un de l’autre. C’est le régime cellulaire en plein air. Si encore j’avais quelque chance de vous rejoindre dans le courant de l’été ! Je n’en vois pas, hélas ! Puisque vous me donnez l’espérance d’aucune pointe ni vers Pérignon1, ni vers Faye2. Berthe3 et la petite Marie continuent leurs bains de mer, malgré les rigueurs d’une saison qui décourage les plus intrépides. Nous comptons repartir le 12 ou le 13 de ce mois, ayant été sans doute jusqu’au, les seuls baigneurs de Dieppe, comme vous êtes le seul de Bagnoles4. Camille5 nous écrit de Chiffrevast6 qu’elle a lu tout votre volume avec un extrême plaisir ; mais qu’il lui en coûte fort de mettre le doigt entre l’art et l’écorce, en répondant à votre question, elle ajoute textuellement : « la musique n’étant pas, comme le sont la parole et la peinture, une expression claire et nette de la pensée, il ne me semble pas qu’on puisse dire qu’elle est, par elle-même, morale ou immorale. Son effet consiste à émouvoir, reste à savoir si l’émotion n’est pas l’état de l’âme dans lequel on perd plus ou moins la faculté de se maîtriser et si, dans ce cas, une émotion vague et sans direction ne peut pas être un danger. Pas trop mal ne semble ! Je conclus donc de l’opinion de cette petite personne qui, loin d’être la seule langue dans laquelle on ne puisse pas écrire un mauvais livre : 1° la musique n’est pas une langue et 2° Qu’elle peut, tout comme un mauvais livre, éveiller de mauvaises pensées, qui seraient en nous à l’état latent et induire en tentation de mal faire celui qui serait déjà disposé.

Voilà donc des Houx7 chassé de Rome, Ce dont je me félicite fort, sans toutefois tomber dans l’excès que nous reprocher aux autres en reconnaissant que le pape8 a failli bleu en politique lorsqu’il est de notre avis. Mille millions de tendresses.

Al.

 

1Château de Pérignon, par Finhan, dans le Tarn-et-Garonne, domaine de la famille Pérignon à laquelle A. de Rességuier est apparenté, sa fille ayant épousé Dieudonné de Pérignon (1840-1889), zouave pontifical.

2Château de Faye, dans la Nièvre, domaine appartenant à la famille Benoist d'Azy à laquelle A. de Rességuier est apparenté, sa fille cadette Berthe ayant épousé Augustin Benoist d’Azy (1829-1890).

3Berthe Benoist d'Azy (1850-1899), fille cadette d'A. de Rességuier.

4Bagnoles de l’Orne, station thermale en Normandie.

5Camille Benoist d’Azy (1879-1960), fille de Berthe.

6Château de Chuffrevast, à Tamerville dans la Manche, propriété d’Eugène Bretel.

7Durand-Morimbau, Henri dit Henri Des Houx (1848-1911), journaliste. Agrégé de lettres, puis professeur de rhétorique, il passe au journalisme en 1876. Après la publication de quelques travaux littéraires dans le Correspondant, il se voit confié le poste de rédacteur en chef de La Défense, le journal de Mgr Dupanloup. Suite au décès de l'évêque d'Orléans, il fonde La Civilisation, un journal légitimiste qui fusionnera avec Le Clairon. Peu de temps après, le comte Jules de Boursetty lui offre la direction du Journal de Rome afin de contrer les idées jugées trop modérées du Moniteur de Rome. Victime de l'épuration de la presse intransigeante en 1885, il rédigea des Souvenirs d'un journaliste français à Rome.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Juillet 1885», correspondance-falloux [En ligne], 1885, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 03/11/2020