CECI n'est pas EXECUTE 15 mars 1842

Année 1842 |

15 mars 1842

Rosalie Rzewuska à Alfred de Falloux

15 mars 1842

Je vous ai écrit par M. de Bourmont1….il était si pressé, il devait être si exact ! Et puis toute cette hâte, cette exactitude se sont trouvées obscurcies par l’amour de la diplomatie ; enfin voilà, du tems [sic] que vous ne savez rien de moi, et cependant il n’y a point eu de jours où je n’aye particulièrement pensé à vous ; mes tristesses mes inquiétudes à <mot illisible> et tendre et amical que vous m’avez témoigné. Je suis dans cet instant profondément affectée. Je pars et je laisse ma fille, souffrante, maigre, livrée à une existence nouvelle et fort découragée….Ce n’est pas moi qui puis lui faire du bien, moi qui dévore mes larmes et qui n’ai point de sens commun !

Parlons de votre lettre, elle m’a fait grand plaisir, elle était aimable ; elle m’a transportée si bien près de certains moutons que je croyais presque les entendre bêler. Il sera curieux de voir ce que deviendra cette conversion, et ce salut si ardemment souhaité. Calixte2 disait l’autre jour, si l’enfer est plein de bonnes intentions, le ciel aussi le sera peut-être de mauvaises ! Intentions les dépouillant de cette pensée, de ce qu’elle pourrait avoir d’anti-théologique, on en ferait une vérité mondaine bien frappante. Il est arrivé ici un jeune et joli ménage qui s’aime. C’est la Ctesse Louis de Talleyrand, elle cause, elle est agréable, elle regarde et loue son mari. On m’a fort recommandé ces personnes et moi je les ai léguées à votre frère3 car je pars et n’ai plus le temps de lire ni un ouvrage en 6 volumes, ni même une brochure. La duchesse de Fleury n’est point morte, et comme on racontait à un anglais que c’est le bambino qui avait raccommodé cette santé, il dit avec naïveté « eh bien il n’est donc point si étonnant que ma femme soit accouchée à 52 ans et qu’elle ait été sauvée », c’est ainsi que cet insulaire comprenait le Bambino. La maladie de la duchesse de Fleury a développé tous les amours propres des « diseurs de messe chez une malade » ! Votre frère même n’y a point été étranger mais je fais semblant de l’ignorer : Oh chère pauvre humanité comme partout elle se fait jour. Jamais mauvais air n’a été plus subtil ni plus pénétrant. J’ai un peu perdu de vue la société française, les Pastoret4 reçoivent, les Rohan5 sont dans le deuil, d’autres se sèchent au soleil, et puis viennent les dévots, dévotes qui ne hantent que les églises. Moi, j’ai donné une belle soirée décorée de deux altesses, Naples et Lucques, et de beaucoup de glaces. Il était tout simple que cela fut froid et même glacial. Avez-vous lu Pauline de M. Sand ? Que de talent employé à faire haïr le bien, ou plutôt à en faire douter.

Je ne vous parle point politique car je ne sais rien prévoir, ni rien désirer, à peine arrivé au lieu de sa destination, M. de M. est allé à Vienne, j’espère que le cousin de la vierge est parti pour quelques temps.

Adieu cher et aimable neveu. J’ai pour vous une tendre et sincère amitié. Vous en êtes persuadé, car ces choses là se sentent, se pressentent, et on ne s’y trompe point. Je souhaite vous revoir, causer avec vous et secouer un peu mon, hébétement. Je vais voyager 21 jours, que de temps pour lire et écrire, et surtout pour pleurer. Je ne fais plus que cela et ma faiblesse deviendra de la force, si je savais en faire usage.

Mon Dieu prenez mes larmes et déterminez le bonheur de Calixte. Je ne sais ni la plaindre ni l’arranger.

Adieu cher et bon Alfred. Écrivez-moi à Varsovie, poste restante ou bien à Opole en Cracovie Belzyce, Gouvernement de Lublin. C’est la terre que je veux vendre. Je pars mardi le 17.

Faites moi dire si vous disposez demain de la voiture de votre frère pour dîner chez M. de Kar. car vous nous prendriez en passant. Cependant soyez franc et dites oui ou non sans scrupule et remords. Il s’agirait d’aller et de revenir.

Bonjour mon neveu. En effet Madame la comtesse est trop cérémonieuse. Madame trop glacial ; ma chère trop tendre Rosalie, trop familier. Je serais donc votre tante Rosalie.

1Probablement Louis de Ghaisne de Bourmont (1773-1846), propriétaire du château de Bourmont, à Freigné, une commune du Maine-et-Loire, voisine du Bourg d‘Iré.

2Calixte Rzewuska (1818-1842), sa fille, alors malade mourut peu après, le 20 juillet 1842.

3Frédéric de Falloux, est alors à Rome.

4Amédée David, marquis de Pastoret (1791-1857), auditeur au Conseil d'Etat en 1809, il sera nommé sous-préfet de Corbeil (1813) puis de Chalon-sur-Saône (1814). Rallié aux Bourbons après la chute de Napoléon Ier, il réintègre le conseil d'Etat. Administrateur des biens en France du comte de Chambord depuis 1840, il était néanmoins favorable au gouvernement de Louis-Napoléon Bonaparte. L'Empire rétabli, il sera d'ailleurs nommé sénateur.

5Fernand de Rohan-Chabot (1789-1869) et son épouse Joséphine, née Gontaut-Biron (1790-1844).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «15 mars 1842», correspondance-falloux [En ligne], Années 1837-1848, Monarchie de Juillet, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1842,mis à jour le : 13/11/2020