CECI n'est pas EXECUTE 16 mai 1882

1882 |

16 mai 1882

Edmond Rousse à Alfred de Falloux

Paris 16 mai 1882

Monsieur et très cher confrère,

En me présentant, il y a quelques jours, rue de l’Université, j’ai appris que vous aviez déjà regagné votre triste et chère solitude.

Je voulais vous remercier de l’honneur que vous m’avez fait en m’adressant vos cinq beaux volumes. Je réserve l’étude complète de cette grande œuvre pour le mois de repos et de liberté que me donnent bientôt les vacances judiciaires. Mais déjà j’ai retrouvé à de certaines dates fameuses, bien des passages qui sont demeurés classiques pour des hommes de mon âge, et que ma mémoire avait fidèlement retenu. Quoique l’expédition de Rome soit bien loin de nous et quoique le successeur de Jules Favre1 à l’Académie soit obligé de vous garder rancune pour l’apostrophe célèbre que vous avez asséné à son devancier, je n’avais pas oublié cette page, l’une des plus émouvantes de l’éloquence contemporaine. Je ne pouvais guère la citer dans mon discours de réception ; mais je m’en suis dédommagé méchamment, en la relevant avec un plaisir dont je m’accuse, et avec une admiration bien involontaire.

Que de choses, et quelles choses depuis ce temps-là, Monsieur et très honoré confrère ! Nos armées ne sont plus à Rome, pas plus qu’elles ne sont allées à Berlin ; tout au plus vont-elles jusqu’à Frigolet sous les ordres du général Favre, et à Tunis avec une feuille de route signée par Monsieur de Bismarck2. Où sont aussi les orateurs et les hommes d’État de 1848 ? Où sont les Berryer, les Thier, les Montalembert, les Dufaure, les… ? Vous savez bien qui je veux dire. C’est une bonne fortune, dans un triste temps de pouvoir revivre le passé, si troublée, si malheureux qu’il ait pu être, et d’entendre encore l’écho des grandes voies d’autrefois. Nous vous devons un plaisir patriotique au milieu de nos désespérantes misères ; et tous les bons citoyens vous en doivent témoigner leur reconnaissance.

Veuillez je vous en prie Monsieur et éminent confrère, agréer l’humble tribut de ma profonde gratitude, et recevez, avec mon bien sincère dévouement l’hommage de mon très respectueux dévouement.

Edmond Rousse3

1Élu à l'Académie française le 13 mai 1880 en remplacement de Jules Favre, il fut reçu par le duc d'Aumale le 7 avril 1881.

2Bismarck, Otto Eduard Leopold von (1815-1898), homme d'état allemand. Il devint le premier chancelier (1871-1890) de l'Empire allemand et joua un rôle de premier plan dans l’unification allemande.

3Rousse, Edmond (1817-1906), avocat et homme de lettres, il fut secrétaire de Chaix-d'Est-Ange dont il avait publié, en 1869, les Plaidoyers et Discours en deux volumes. Élu à l'Académie le 13 mai 1880 en remplacement de Jules Favre, il fut reçu par le duc d'Aumale le 7 avril 1881.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «16 mai 1882», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1882,mis à jour le : 14/11/2020