CECI n'est pas EXECUTE 9 octobre 1875

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9 octobre 1875

Saint-René Taillandier à Alfred de Falloux

Paris, 9 octobre 1875

Mon cher confrère,

J’ai vu hier M. Henri de Bornier1 qui n’hésite pas à accepter la lutte dont il s’agit. Je n’ai pas eu besoin de le mettre en garde contre les assauts auxquels il va être exposé, il est très décidé d’avance à les soutenir et ne s’en inquiète pas le moins du monde. Il croit même que ces assauts ne seront pas aussi vite que je le pensais. Si M. de Bornier ne se fait pas illusion, M. Legouvé2 se trouvera fort embarrassé entre M. Jules Simon et lui. Attaché à M. Jules Simon par son désir de popularité démocratique, M. Legouvé a d’autres raisons pour ménager le théâtre français.L’auteur de La fille de Roland, naguère le protégé de M. Legouvé, a désormais une influence supérieure avec laquelle celui-ci est obligé de compter. M. Legouvé pourra donc regretter que M. de Bornier se présente en concurrence avec M. Jules Simon, mais certainement il ne combattra pas sa candidature. Parmi nos confrères de la littérature dramatique il n’y en a qu’un seul dont M. de Bornier ne soit pas sûr, c’est M. Alexandre Dumas3, mais il ne désespère pas de le ramener à lui. En un mot, tout paraît annoncer que ce sera là, une candidature sérieuse et très embarrassante pour plusieurs des amis de M. Jules Simon. Il est convenu avec M. de Bornier que je le tiendrai au courant des nouvelles académiques et que je l’avertirai du moment où il devra envoyer sa lettre de candidat. On paraissait croire avant-hier, à l’académie, que la double élection aura lieu dans la première quinzaine de décembre.

J’ai lu, nous avons tous lus avec une sympathie profond votre admirable discours au comice de Segrè4. C’est la sagesse même. Il est impossible de mieux répondre aux intransigeants de l’extrême droite, et l’on ne saurait condamner plus fortement la politique antichrétienne si étrangement annoncée par M. Thiers. Au milieu de nos violences de langage et de nos polémiques aveugles, c’est une grande consolation d’entendre une paroles si noble exprimant des sentiments si justes et si élevés. Il faudra bien que ces belles pages soient réunies un jour ; sans parler de leur intérêt historique, elles formeront un guide moral de la vie agricole.

Recevez, mon cher confrère, la bien vive assurance de mes sentiments respectueusement dévoués.

Saint-René Taillandier

1Bornier, Henri Étienne Charles de (1825-1901), poète, romancier et critique théâtral. Auteur de très nombreux ouvrages dont La Fille de Roland (1875) et Les Noces d'Attila (1880), ce n'est qu'en 1893 qu'il sera élu à l'Académie française.

Voir la lettre d'A. de Ségur à Falloux du 2 janvier 1875 sur sa candidature.

2Legouvé, Ernest Gabriel Jean-Baptiste (1807-1903), auteur dramatique et essayiste. Fils de l'académicien Jean-Baptiste Legouvé (1764-1812), il avait obtenu, en 1827, le prix de l'Académie pour son poème, Découverte de l'Imprimerie. Il était membre de l'Académie française depuis le Ier mars 1855.

3Alexandre Dumas fils (1824-1895), auteur dramatique et romancier, il avait été élu à l’Académie française le 29 janvier 1874.

4Dans ce discours prononcé quelques jours auparavant Falloux indiquait la voie à suivre aux conservateurs : « Resserrer les liens d’une majorité plusieurs fois sur le point de se dissoudre ; fortifier une politique d’apaisement qui a été jusqu’ici plus entravée par ses amis naturels que par ses adversaires.. »


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 octobre 1875», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1875,mis à jour le : 25/11/2020