CECI n'est pas EXECUTE 5 septembre 1875

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5 septembre 1875

Saint-René Taillandier à Alfred de Falloux

Saint-Hélier (Jersey) Stopford Road, Canterbury Place 4 Dimanche 5 septembre 1875

Mon cher confrère,

Après avoir bien réfléchi à votre combinaison académique, je crois qu’elle répond autant que possible à ce que la situation exige. Puisque la candidature dont il s’agit ne peut être proposé pour diverses raisons ni au Comte de Paris, ni au duc d’Audiffret-Pasquier, ni à Mgr Perraud1, il n’y a qu’une candidature littéraire qui puisse attirer à nous nos confrères du roman et du théâtre. Je connais et j’aime beaucoup M. Henri de Bornier2. C’est un homme d’un vrai mérite et ce sera un excellent confrère. Je suis charmé que vous ayez pensé à lui. Sa Fille de Roland, est une œuvre d’un ordre élevé, d’un noble souffle poétique et d’un grand sentiment national. Le succès qu’elle a obtenu est un des meilleurs symptômes littéraires de ces derniers temps. Je vois comme vous les objections, mais je pense comme vous aussi qu’il ne sera pas impossible d’y répondre. Le principal danger à craindre, c’est que M. de Bornier qui a des relations amicales avec notre confrère Legouvé3, ne se laisse détourner par lui de cette candidature. Legouvé essaiera certainement de l’effrayer en lui disant : si vous contrecarrez mes plans cette fois-ci, vous perdrez et ma voix et celle de mes amis pour une candidature à venir. Il serait donc très important que notre projet ne fût connu de personne avant que nous ayons pu traiter la chose avec M. de Bornier et l’affermir contre les assauts auxquels il devra s’attendre. Je m’en chargerais volontiers, à moins que vous ne connaissiez vous-même M. de Bornier. Il faudrait lui dire que l’occasion est admirable, et que, s’il ne la saisit pas résolument, sans se laisser effrayer par M. Legouvé, jamais sans doute il ne retrouvera pareille circonstance.

Je serai de retour à Paris dans les premiers jours d’octobre ; si vous voulez bien me donner votre avis pour la négociation, je serai très heureux de faire sous vos ordres ma première campagne diplomatique.

Nous vous avons adressé au Bourg d’I, vers le 15 juillet une lettre de faire-part pour le mariage de mon fils. Si j’avais eu le temps d’y joindre quelques lignes, je vous aurais dit que ce mariage où tout est réuni, nous rend très heureux. Mon fils a épousé l’arrière-petite-fille de M. Blondea4 qui a laissé les plus honorables souvenirs et à la faculté de droit de Paris, dont il a été doyen pendant de longues années, et à l’Académie des sciences morales et politiques. Notre belle-fille est charmante et parfaitement élevée. L’évêque de Limoges5 et l’évêque de Beauvais6 connaissent et apprécient beaucoup sa famille. Vous êtes bien aimable de me dire que vous aviez espéré pour mon fils un mariage qui l’attacherait davantage à l’Anjou ; j’éprouvais aussi le même sentiment, mais puisque la providence en a décidé autrement je ne puis que me réjouir du don qu’elle nous a fait.

Nous sommes venus passer quelques semaines dans l’île de Jersey, et nous nous arrêterons une dizaine de jours à Avranches7 avant de retourner à Paris. C’est vers le 20 septembre que nous quitterons Jersey ; si vous aviez à m’écrire avant cette date je vous prierai de m’adresser votre lettre à Saint-Hélier (Jersey) poste restante. Plus tard ce serait à Avranches à la sous-préfecture ; et après le 4 octobre à Paris.

Veuillez agréer, mon cher confrère la bien sincère assurance de mes sentiments respectueusement dévoués.

Saint-René Taillandier

 

1Mgr Perraud Adolphe Louis Albert (1828-1906), prélat. Prêtre de l'Oratoire de France en 1855, professeur d'histoire de l’Église à la Sorbonne en 1865, il fut nommé évêque d'Autun en 1874, puis cardinal en 1893.Normalien de la promotion About, Sarcey, Taine, Weiss, il fut l'auteur de plusieurs ouvrages religieux, l'Histoire de l'Oratoire en France au XVIIIe et au XIXesiècle, de plusieurs études sur le cardinal de Richelieu, le Père Gratry, d'oraisons funèbres et de panégyriques. Il fut élu à l'Académie le 8 juin 1882 en remplacement d'Auguste Barbier qui avait exprimé, avant de mourir, le désir de l'avoir pour successeur, et reçu le 19 avril 1883 par Camille Rousset. Lorsque S. E. le cardinal Perraud arriva au conclave de 1903 qui suivit la mort du pape Léon XIII, le cardinal camerlingue le complimenta et le félicita d'appartenir à l'Académie française.

2Bornier, Henri Étienne Charles de (1825-1901), poète, romancier et critique théâtral. Auteur de très nombreux ouvrages dont La Fille de Roland (1875) et Les Noces d'Attila (1880), ce n'est qu'en 1893 qu'il sera élu à l'Académie française.

3Legouvé, Ernest Gabriel Jean-Baptiste (1807-1903), auteur dramatique et essayiste. Fils de l'académicien Jean-Baptiste Legouvé (1764-1812), il avait obtenu, en 1827, le prix de l'Académie pour son poème, Découverte de l'Imprimerie. Il était membre de l'Académie française depuis le Ier mars 1855.

4Blondeau, Jean-Baptiste-Antoine-Hyacinthe (1784-1854), jurisconsulte et publiciste éminent.

5Mgr Duquesnay, Alfred (1814-1884), évêque de Limoges de 1871 à 1881, puis archevêque de Cambrai.

61Mgr Gignoux, Joseph-Armand (1799-1878), évêque de Beauvais depuis 1841/

7Dans la Manche.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «5 septembre 1875», correspondance-falloux [En ligne], 1875, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 26/11/2020