CECI n'est pas EXECUTE 9 janvier 1873

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9 janvier 1873

Saint-René Taillandier à Alfred de Falloux

Paris, 9 janvier 1873

M. le comte,

J’espère que mes lettres ne vous sont pas importunes. En tout cas, je compte sur votre bienveillance qui excusera certainement un candidat1 tout plein de son sujet et agité par les émotions de la lutte. Permettez-moi donc de vous tenir au courant de tous les détails qui me sont donnés. On paraît croire que M. Guizot a décidé M. Thiers à venir voter le 16 janvier. Du moins, c’est M. Guizot qui l’affirme. M. Guizot disait hier à M. Charles Buloz2, le fils du terrible directeur que vous connaissez : « M. de Viel-Castel3 va être nommé, et à la prochaine élection nous nommerons M. Dumas, le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences ». Pas un mot pour moi, pas un mot de regret pour le présent et d’espérance pour l’avenir. C’est en vain que je lui ai toujours témoigné des sentiments de respect et d’admiration ; il ne me pardonne pas d’avoir la prétention d’arriver à l’académie autrement que par sa permission et par sa grâce. C’est une atteinte à son autorité. C’est lui qui rêve, c’est lui qui gouverne ; il tient les clés de l’académie ; il décide qui entrera et qui n’entrera pas. J’avoue que cette arrogance me révolte, non pas pour moi, candidat très humble, pour l’académie elle-même. Si, grâce à vous, je battais cette fois M. Guizot, un sentiment particulier se joindrait pour moi au bonheur d’avoir obtenu cette récompense si désirée ; je serais heureux d’avoir tenu en échec cette influence hautaine. M. Charles Buloz, en me répétant les paroles de M. Guizot, en était indigne ; non pas, certes, que M. Guizot n’ait le droit d’avoir ses préférences ; mais il était choqué pour l’académie de ce ton de commandement, de ces paroles dictatoriales, il était choqué aussi du dédain de M. Guizot pour les générations qui l’ont suivi.

Je crois pourtant que M. Guizot se vante et qu’il annonce très haut son succès afin d’attirer les voix hésitantes. Des personnes qui connaissent M. Thiers persistent à croire qu’il ne viendra pas voter.

Veuillez agréer, M. le comte, les hommages de ma reconnaissance zt de mon profond respect.

Saint René Taillandier

 

1René Saint-Taillandier est alors en campagne pour sa candidature à l’Académie française.

2Charles Buloz (1843-1905), journaliste, il succéder a son père à la direction de la Revue des deux mondes.

3Viel-Castel, Charles-Louis-Gaspard-Gabriel de Salviac, baron de (1800-1887), homme politique et historien. Directeur de affaires politiques au ministère des Affaires étrangères pendant la monarchie de Juillet, il rentra dans la vie privée après 1848. Auteur d'un Histoire de la restauration en 20 volumes (1870-1870), il collabora à plusieurs reprises à la Revue des Deux Mondes


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 janvier 1873», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1873,mis à jour le : 27/11/2020