CECI n'est pas EXECUTE 17 mars 1862

Année 1862 |

17 mars 1862

Victor de Laprade à Alfred de Falloux

 

 

 

 

32 rue de l’université, Paris, 17 mars 1862

Très honoré et cher confrère,

J’avais grand besoin de conférer avec vous de nos affaires académiques. Les amis de M. Cuvillier-Fleury paraissent croire qu’il ne doit plus être question pour cette élection de M. Autran1 et j’ai été fort stupéfait en entendant M. Guizot lui-même me parler de M. Octave Feuillet2 comme d’un candidat que nous pourrions accepter. L’auteur du roman d’un jeune homme pauvre a sans doute plus de notoriété et plus de talent que M. Camille Doucet3, mais il voterait exactement de même à l’académie. Je ne comprends pas que l’on abandonne aussi facilement le souci de conserver notre majorité indépendante. La profonde douleur qu’au dire de M. Viennet4 sa Majesté l’Empereur5 a manifesté à l’annonce de l’élection de M. le prince de Broglie6 peut être pour l’académie une raison de faire un choix prudent. Moi-même qui ne tiens pas essentiellement à complaire, je ne suis pas d’avis d’une candidature politique. Mais nous avions avec M. Autran un homme tout à fait littéraire et en même temps tout à fait indépendant ; je ne comprends pas pourquoi on voudrait nous le faire abandonner. Serait-ce pour le punir de l’insuccès de M. Cuvillier-Fleury ? Je vois cependant que cette désertion se prépare, et parmi vos amis eux-mêmes on prononce le nom de M. Octave Feuillet comme celui d’un candidat que nous pourrions accepter. Je n’ai aucune objection à faire contre son caractère et sa personne que je ne connais pas, son talent m’a paru singulièrement surfait par la mode, mais il est vrai que ses liaisons avec la cour ne nous le désignait pas comme un candidat indépendant.

Il y aurait de plus je crois une véritable cruauté de notre part à ne pas tenir bon pour M. Autran après avoir mis son nom en avant dans la lutte. Il suit du reste votre excellent conseil et ne se donne encore aucun mouvement. Je crois que nous pouvons compter sur l’appui solide de M. Thiers.

Je sais que vous n’arriverez que tard à Paris aussi je viens vous prier de me donner vos instructions, vos prévisions, afin qu’en votre absence je puisse conseiller mon ami Autran et savoir ce que je dois dire et faire vis-à-vis de nos confrères. On annonce la prochain retour de M. Cousin. Je crains que par l’influence de la Revue des Deux Mondes7 et quelques raisons de prudence, il n’incline vers M. Octave Feuillet. Le succès, je dois le dire me parait bien difficile ; mais ce n’est pas une raison pour abandonner la partie. Je n’ai pas oublier votre adage que je suis tant disposé à prendre plus que jamais pour devise : « quand on ne peut plus se battre il faut se rabattre ».

Agréez, je vous prie, très honoré et cher confrère, l’assurance de tous mes sentiments les plus affectueux et les plus dévoués.

 

V. de Laprade

1Autran, Joseph (1813-1877), poète français. Plusieurs fois candidat à l’Académie française, il était soutenu par les catholiques, son ami V. de Laprade, Thiers et Mignet mais combattu par Guizot et les libéraux, le Journal des Débats et la Revue des Deux-Mondes. Contraint de se retirer devant Octave Feuillet en 1862, il ne sera élu que le 7 mai 1868, en même temps que Claude Bernard.

2Feuillet, Octave (1821-1890), écrivain. Auteur de pièces de théâtre, Le pour et le contre (1853), Péril en la demeure (1855), et de plusieurs romans dont Sybille (1862). Il fut le premier élu à l'Académie à titre de romancier, le 20 janvier 1862.

3Doucet, Camille (1812-1895), directeur général de l’administration des théâtres, élu à l’Académie française le 7 avril 1865, secrétaire perpétuel en 1876.

4Viennet, Jean Pons Guillaume (1777-1868), auteur dramatique et homme politique. Membre de l'Académie française depuis 1830. Après avoir commencé une carrière militaire, dans la marine, il entra en politique. Député sous la Restauration, il contribua à l’avènement de la monarchie de Juillet. Depuis 1848, il s'était retiré d la vie politique.

6Albert de Broglie. Il avait été élu le 20 février 1862 au fauteuil du Père Lacordaire.

7Victor Cousin était un collaborateur de cette revue.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «17 mars 1862», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1862, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870,mis à jour le : 24/12/2020