CECI n'est pas EXECUTE 24 juillet 1875

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24 juillet 1875

Victor de Laprade à Alfred de Falloux

24 juillet 1875

Mon cher ami,

La lettre que je vous envoie m’a doublement consterné. Elle me prouve d’abord que nous n’aurons pas l’article que j’attends avec une entière certitude ; enfin, c’est un inexcusable monument de l’oppression que font peser sur les catholiques de France Veuillot et les Jésuites. Rien de cela ne me surprend ; vous savez que je ne suis pas optimiste et que j’ai encore dans l’esprit une série de prophéties très anciennes chez moi et qui m’annoncent encore pis. Il y a cependant dans l’histoire contemporaine une foule de détails que je n’avais pas prévus, par exemple la conduite de Monsieur le comte de Chambord et des chevaux-légers mais en matière religieuse je vois pire encore dans l’avenir. Pour restreindre mes sinistres pressentiments à une seule matière, j’ai la conviction que la loi qui vient d’être votée ne profitera qu’au veuillotisme. C’était bien la peine de faire pour l’obtenir cette alliance sainte fondée sur la droite avec les bonapartistes. Je pense - quoique la gauche le dise - que l’application de cette loi, si l’université ne reste pas fortement constituée et surveillée par l’État, aura pour résultat de constituer en face l’une de l’autre deux matières irréconciliables en supprimant tous les intermédiaires tout ce qui adoucit les chocs et les frottements, des modérés, des libéraux, des fusionnistes1, des conciliateurs ; c’est la théorie veuillotiste ; rejeter les tièdes, les pacifiques. Il n’y aura plus en France que des catholiques fous d’intolérance et idiot de superstition et des libres penseurs enragés contre la religion de plus en plus fiers de descendre du <mot illisible>. Le bûcher fera vis à vis à la guillotine et les Veuillot de l’époque verront là un immense triomphe pour l’Église. En politique il en résultera ceci qu’il n’y aura de possible que les Napoléon et les Bismarck qui persécutant et caressant tour à tour les deux partis les empêcheront de se ménager. Oh le bel avenir que nous léguerons à nos enfants !

Je parle et parle peut-être en homme qui souffre toujours et qui ne dort jamais ce qui n’est pas une condition de sagesse et de lucidité. Dieu veuille guérir mon esprit avec mon corps ! Je suis prêt à faire amende honorable. Mais il y a une chose que je ne pardonnerai jamais à aucun des coupables. C’est leur conduite vis-à-vis de vous.

Vous connaissez toute l’admiration et l’affection de vôtre entièrement dévoué.

V. de Laprade

1Les partisans de la réconciliation entre les Orléanistes et les fidèles au Comte de Chambord, dont Falloux fut le chef de file.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «24 juillet 1875», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1875,mis à jour le : 26/12/2020