CECI n'est pas EXECUTE 7 mai 1877

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7 mai 1877

Victor de Laprade à Alfred de Falloux

Lyon 7 mai 1877

Très cher confrère et ami,

Vous pouvez compter sur moi pour l’élection du 7 juin. Je me traînerai à Paris un peu à l’avance pour être sûr d’y être ce jour là. Je suis en proie à des souffrances de plus en plus vive qui m’ôtent toute force. Mais l’incapacité d’âge ne m’empêche pas de sentir cruellement et fortement. Je prends comme vous un ardent intérêt au succès du duc d’Audiffret-Pasquier1. J’ai des regrets sur nos dernières élections. Des relations personnelles me liaient à peu et je croyais que la politique ne montrerait même pas le bout de l’oreille dans le discours et la conduite d’un candidat qui la rejoindrait si hautement. Nos amis avaient en outre commis la faute de ne trouver une autre candidature que quinze jours à l’avance, après ce qui s’est passé, j’ai presque des regrets de mon vote, j’en ai des remords.

Je connais depuis longtemps le duc d’A. Pasquier et j’ai pour lui beaucoup de sympathie. Il aura ma voix. Je dois dire néanmoins que je vois bien des inconvénients et des difficultés de cette candidature s’il s »agissais de remplacer M. Thiers, je n’y ferais aucune objection ; mais pour remplacer un poète comme Autran2 ce choix ne me paraît pas habile. Nous y perdrons au moins trois ou quatre voies effrayées de l’invasion des hommes d’État. Car enfin si l’on remplace Autran par le candidat du Sénat, quand il faudra trouver un successeur au président de république M. Thiers, en écartera certainement les gens de lettres sans parler des poètes. L’équilibre sera rompu et l’on nous accordera en quelque sorte d’exclure systématiquement la littérature au profit de la politique.

J’espère que M. le duc Pasquier se montrera excellent pour son prédécesseur, car la mémoire de mon bon ami Autran préoccupe autant dans cette circonstance que mon mon patriotisme académique. C’est déjà quelque chose que de donner à mon ami pour successeur un homme bien élevé. J’espère encore plus, c’est que ce successeur voudra lire à fond les écrits du poète et ne désignera pas les renseignements et les opinions des hommes du métier. Autran est trop supérieur à ce que MM. les Parisiens en ont pensé. L’académie qui l’a choisi devrait avoir le courage de le dire.

Nous ne vendrons pas la peau de l’ours. Nous aurons, je crois beaucoup de peine à faire passer notre candidat.

On m’adresse une liste de vingt voix pour M. Sardou3, liste très plausible. Dieu veuille que je me trompe.

Croyez bien je vous en prie à tout mes sentiments inébranlables de respect et d’affection.

V. de Laprade

1Edme Armand Gaston, duc d'Audiffret-Pasquier (1823-1905), homme politique français. Auditeur du conseil d’État de 1845 à 1848. Membre du Conseil d'administration des mines d'Anzin. Il devient député de l'Orne en 1871. Inscrit au centre-droit, il contribua à la chute de Thiers. Favorable à la fusion et à la restauration d'une monarchie constitutionnelle, il se résigna, en raison de l'attitude intransigeant du comte de Chambord au vote de la loi du septennat et contribua à la chute du ministère Broglie. Partisan d'une conciliation avec le centre-gauche, il est élu à la présidence de l'Assemblée nationale le 15 mars 1875 et neuf mois plus tard il est élu sénateur inamovible. Il sera élu à l'Académie française le 24 décembre 1878 au fauteuil de Mgr Dupanloup.

2Autran, Joseph (1813-1877), poète français. Plusieurs fois candidat à l’Académie française, il était soutenu par les catholiques, son ami V. de Laprade, Thiers et Mignet mais combattu par Guizot et les libéraux, le Journal des Débats et la Revue des Deux-Mondes. Contraint de se retirer devant Octave Feuillet en 1862, il avait néanmoins été élu le 7 mai 1868, en même temps que Claude Bernard.

3Victorien Sardou (1831-1908), auteur dramatique.. Il sera élu à l’académie française le 7 juin 1877.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «7 mai 1877», correspondance-falloux [En ligne], 1877, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 27/12/2020