CECI n'est pas EXECUTE 11 janvier 1871

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11 janvier 1871

Pauline de Castellane à Alfred de Falloux

Mercredi, 11 janvier 1871

 

Chers amis, je ne sais plus trop ce que je fais et j’ai oublié si je vous ai écrit depuis que la neige <mot illisible> et un billet d’Antoine [de Castellane] ensuite m’ont empêché d’aller à Tours et de là comme je l’ai projeté à Châleau-Renault voir mon pauvre enfant. Le tout dévoué Bertou a voulu braver les Prussiens. Avant-hier il est parti à la recherche de nos mobiles. De Tours qu’il a traversé dans l’après-midi de lundi il m’a fait dire qu’on les croyait se traînant sur Château du Loir et Le Mans et qu’il allait à leur rencontre à Beaumont la Ronce où il espérait arriver comme eux. Depuis je ne sais rien si ce n’est qu’un ouragan de neige nous a comme enseveli sous un épais linceul et que depuis vendredi tous les jours on entend le canon gronder, et parfois comme hier par exemple violemment…

Et ce son solennel et cruel vient précisément dans la direction de Château Renault en remontant vers Montoire et la ligne du Loir !

Dimanche soir Antoine était sain et sauf tout en grelottant dans une ferme entre le Boulay1 et <nom de village illisible> à une lieue et demi de Château-Renault à ce qu’il m’a écrit dans un billet que ce soigneux fils a pu me faire parvenir.

Ils avaient été rangés en position de bataille le matin sans avoir dormis et étaient rentrés à la nuit dans leur ferme trempés de pluie et de neige.

Depuis ce billet daté de dimanche soir six heures, rien de ce cher enfant. Redoublez vos prières pour lui mes amis. Hier par un train qui s’est remis à marcher le soir j’ai appris dans l’Union libérale (venant de paraître) apporté par le dit train, que les Prussiens réoccupaient Château Renault et que des petits troupes de 40 ou 60 hommes (ennemis) ce rencontraient dans Monnaie. Mais croyait-on, seulement pour masquer un grand déploiement de leurs forces qu’ils dirigeraient sur Le Mans demeuré toujours leur objectif !

Aussi on s’attend à une grande bataille dans ces parages là! Dans le train d’hier soir il paraît qu’un voyageur disait que le général Chanzy2 était malade (au Mans). J ’aime à espérer que ceci n’est qu’un racontar sans fondement. Les nouvelles de l’Est sont bonnes très bonnes. Puissent-elles l’être autant qu’on nous le dit ! Mais de Paris, rien encore, toujours rien. Monseigneur Frédéric écrit de vous prier de m’envoyer une longue lettre adressée chez vous, sur leur situation là-bas ! Quant à Marie3, ses lettres ont un accent de plus en plus douloureux si douloureux que je ne peux plus la lire sans pleurer. Elle savait son mari bien portant le 1er janvier.

Pauline de Castellane

1Le Boulay, commune d’Indre-et-Loire.

2Chanzy, Alfred Antoine Eugène (1823-1883), général. Il fut nommé commandant de l'armée de la Loire pendant la guerre franco-prussienne. Élu des Ardennes à l'Assemblée nationale de 1871, il siégea au centre gauche. Le 10 décembre 1875, il est élu sénateur inamovible. Son attachement au maréchal Mac Mahon et son hostilité à la politique anticléricale l'éloigne peu à peu de ses amis du centre gauche.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «11 janvier 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1871,mis à jour le : 03/01/2021