CECI n'est pas EXECUTE 3 avril 1871

1871 |

3 avril 1871

Pauline de Castellane à Alfred de Falloux

Lundi Saint, [3 avril] 1871

Très chère Madame,

Je me hâte de vous remercier de votre cher billet reçu à l’instant. Les nouvelles de Paris qui nous arrivent par Versailles, par un voyageur descendu du train ici ce matin sont également graves. Il paraît que samedi, 400 gardes nationaux se sont rendus, avec le drapeau blanc des parlementaires à la brigade qualifiée, campée entre Paris et Versailles et lui ont demandé au nom de la fraternité de pactiser avec eux. Ils ont essuyé un refus et s’en sont retournés sans avoir essuyé le feu, Gallifet1 avait défendu de tirer ! mais il s’est hâté vers Thiers et l’a prévenu que le refus de ses hommes ne se maintiendrait pas si cette situation demeurait telle 2 jours de plus.

De là, la décision de marcher en avant effectué hier dimanche à 2h30 à Versailles. Antoine croyait le résultat bon pour nos armées. Mais le voyageur dit qu’on a cessé de se battre qu’à 11 heures, et qu’il n’y avait alors victoire ni pour un côté ni pour l’autre. Qu’on s’attendait donc, à voir Paris bloqué par les Français comme il l’a été par les Allemands.

Chers amis, je ne sens humiliée et angoissée à l’extrême, et à l’extrême désolée. Aligné sont nos défaites quelque cruelles qu’elles aient été en comparaison de notre situation présente et des possibilités de l’avenir. Le cœur n’en peut plus. Priez Dieu que la peine soit diminué, élevé, enlevé

par mon âme !

Je croirais plus au châtiment qu’à la condamnation de la France, mais de plus en plus je croirais à la condamnation de Paris cette grande prostituée et je m’attends d’un jour à l’autre à apprendre sa destruction !

Mais que d’innocents sont réunis là aux coupables hélas !

 

 

Mademoiselle de Beaulaincourt2 m’écrit de Cannes que le midi et plus agité qu’on ne le dit et son neveu écrit de Versailles que les nouvelles de Lyon sont de nouveau moins rassurantes ! Dans nos parages grâce à Dieu, les esprits sont assez calmes comme dans les autres. Vous ne me parlez plus de Monsieur Debrais3, comment va-t-il donc ? Le bon Monsieur Portais m’écrit une lettre charmante dont je vous e de l’infiniment remercier de ma part.

Celle d’Antoine dit aussi que des émeutiers font des grâces à des Prussiens de certains côtés des fortifications.

Madame de Rocheplatte4 vient d’être gravement malade d’une bronchite accompagnée de crachement de sang. On la croit en convalescence. Ah si l’acétate de morphine pouvait mettre notre cher gendre en convalescence de ses névralgies ! Le mal d’yeux de la pauvre bien-aimée Marie nous peine fort c’est par respect pour ses beaux yeux souffrants que je ne lui écris pas directement depuis quelque temps. J’ai rêvé cette nuit à vous tous et spécialement à Loyde. Dites-le lui avec mes grandissimes tendresses. Que savez-vous des Cochin et de leur beau-frère Augustin Benoît5.

Demain on doit faire subir mon pauvre cuisinier une opération légère dont les conséquences ne laissent pas que de préoccuper.

Madeleine est bien attristée elle aussi et inquiète. Ses enfants sont fort aimables, bons, et grâce au ciel bien portants. Toujours fier bon et bien dévoué Bertou et peut-être, un peu moins <mot> depuis deux ou trois jours. Le temps est si doux et la campagne si belle ! Mais quel contraste que ces beautés naturelles avec l’État matériel et surtout moral de notre malheureuse France ! Ma fille est par là bien troublée.

Chers quatre, on vous embrasse et avec quelle tendresse !

1Gallifet Gaston Alexandre Auguste de Galliffet (1831-1909), militaire. Officier de cavalerie, resté connu pour avoir mené une répression brutale contre la Commune de Paris, lors de la Semaine sanglante. Il sera ministre de la Guerre en 1899-1900 dans le gouvernement de Waldeck-Rousseau.

2Beaulaincourt (comtesse de), née Sophie de Castellane (1818-1904), veuve du maréchal de Contades, remariée en 1859 à Victor Emmanuel de Beaulaincourt, mort en 1860.

3Secrétaire de Falloux.

4Marie Adrienne Jeanne dit Jenny Drouin de Rocheplatte, née Crublier de Fougères (1816-?).

5Augustin Rose Ange Benoist d'Azy, baron (1829-1890).


 


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «3 avril 1871», correspondance-falloux [En ligne], 1871, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 08/01/2021