CECI n'est pas EXECUTE 17 octobre 1853

Année 1853 |

17 octobre 1853

Charles Brifaut à Alfred de Falloux

Paris, 17 octobre 1853

Miséricorde !est-ce là cette santé dont le retour me faisait remercie Dieu en toutes les langues. Quoi, vous n’êtes pas encore entièrement rétabli ? Quoi vous n’allez pas jouer à la fossete ! J’en suis tout troublé moi qui ne pense rien tranquillement. C’est au point que je vous gronderais s’il ne me restait pas assez de raisons pour croire à la vôtre, qui sans doute ne vous a pas abandonné. Et puis n’avez-vous pas un ange qui veille à côté de vous ? Ne dois-je pas vous confier à ses soins et croire en lui ? Cependant je n’aurai de tranquillité sur vous qu’au moment où vous m’écrirez de votre main : Resurexi. De votre main, entendez-vous ? Vos lettres sont charmantes, il ne leur manque aucun mérite, excepté celui d’être écrite par vous.

Je ne sais moi ce que je vous griffonne ici. Il est midi et on y voit plus goutte. Le ciel se cache, la pluie tombe, j’ai la main engourdie et l’esprit encore plus. Nous entrons dans l’hiver. Vous n’avez point de temps à perdre pour reprendre possession de vous tout entier. Mais peut-être au moment où je jette ces mots sur le papier, vous êtes à courir les champs et à chanter le Te Deum. Ah que je le voudrais ! On dit qu’il n’y a pas point De profundis à psalmodier pour Madame la duchesse d’Orléans1, qui se porte mieux que nous si nous nous comportons mieux qu’elle. Personne dans Paris n’avait entendu parler de sa maladie. On ne songe guère, du reste à la santé de cette princesse. L’affaire d’Orient est notre unique occupation2. Paris en devient ennuyeux ; il était tout, excepté cela. Mon Dieu, que j’en veux à cet empereur turc qui refuse à sa majesté russe le petit présent de 12 millions de sujets qu’elle lui demandait si gracieusement ! Si l’adorateur d’Allah eut consenti, qu’est-ce qu’il y perdrait ? Presque rien. Et nous, nous y gagnions de ne plus entendre parler de ces misères. Vous croyez donc à la guerre, cher ami : moi je ne crois qu’aux protocoles. Ils ont un si grand succès ! Pourquoi abandonner cette planche de salut, sur laquelle doit passer la paix, accompagnée du repos et de la tranquillité comme disait Monsieur Target ? Écrivez, écrivez en attendant. Vous avez tant de documents curieux. Personne n’est aussi capable que vous d’écrire sur les derniers événements. Vous serez vrai et personne ne l’est. Vous écrirez avec la dignité de l’histoire et ils n’ont que la sautillerie [sic] du pamphlet. Vous avez de plus un mérite que j’apprécie fort : c’est de sacrifier aux grâces. Eux, à qui sacrifient-ils ? Au furieux. Écrivez, écrivez vous dis-je. Avec votre style raisonnable vous aurez un succès fou. J’attends toujours les lettres que vous me promettez, mais ne dérangez rien pour les avoir et pour me les envoyer. J’ai quelque chose à vous adresser de mon côté. C’est un livre que je vous ai annoncé dernièrement. Quand vous aurez, ou quand j’aurai une occasion, je vous le ferai parvenir. Point de nouvelles de l’excellent Salvandy. Je crois qu’il court les champs. Si j’en faisais autant, je sais bien de quel côté je dirigerais mes pas.

Je me jette dans vos bras et je les quitte pour tomber aux pieds de la plus aimable des femmes que Dieu ait mis au monde pour assurer le bonheur du meilleur des hommes.

Brifaut

1Allusion aux menaces de conflits entre l’Empire Ottoman et la Russie qui s’inquiète des menaces qui pèsent sur la liberté des chrétiens orthodoxes en territoire ottoman.

2La duchesse d’Orléans, née Hélène de Mecklembourg-Schwerin, belle-fille de Louis-Philippe. Elle mourut le 18 mai 1858.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «17 octobre 1853», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1853,mis à jour le : 15/01/2021