CECI n'est pas EXECUTE 6 janvier 1854

Année 1854 |

6 janvier 1854

Charles Brifaut à Alfred de Falloux

Paris, 6 janvier 1854,

1Très cher et très parfait ami, vous n’aviez pas besoin de signer votre lettre. À l’esprit et à la grâce qui y règne, je vous aurais bien vite reconnu : c’était la dénonciation la plus authentique comme la plus aimable à mes yeux. Tout m’y charme dans cette lettre si digne de vous. Elle m’annonce d’abord l’amélioration de votre santé sauf les yeux qui ne font pas leur devoir comme le cœur, et c’est grand dommage. Elle me rassure en même temps sur le compte de votre charmante femme2 à laquelle il ne manquera plus rien pour être parfaite puisque la santé se rejoint à tous les trésors qu’elle possède. Je veux croire que votre fille3 suit l’exemple de ses parents. Elle est trop bien élevée pour ne pas marcher sur leurs traces. Si vous saviez comme je suis content de votre triple restauration. Comme ma lorgnette est braquée sur le côté de votre Arcadie où vous faites des heureux à la journée !que je le ferai moi-même le jour où je pourrai vous embrasser, reprendre avec vous ces douces confréries dont le souvenir fait bondir de joie ce cœur qui a tant besoin de vous pour combler ses jouissances ! Il m’arrive quelquefois, je l’avoue, de me plaindre tout bas du ciel qui m’a jeté au milieu d’un monde de fous, de pervers et de sots ; mais aussitôt que je pense à vous et que je me dis : il est là, ils sont là ! Je remercie Dieu, je bénis mon siècle et je trouve tout bien. Vous me parlez de votre excellent Salvandy avec l’espoir de nous l’enlever. Je lui ai demandé hier s’il avait le bon goût de nous quitter pour vous. J’attends sa réponse que Monsieur Molé est venu m’escamoter. Ce dernier pêche comme vous par les yeux. On dit qu’il la tourne de notre côté. Dieu le veuille ! On dit aussi que nous ne savons plus où nous en sommes sur la guerre des barbares schismatiques contre les barbares infidèles. Pour lesquels faites-vous des vœux? Monsieur Pasquier4 passe au Russes5. Tout bien considéré, je fais comme M. Jourdain ; je ne veut pas gâter ma belle robe de chambre et je crie : la paix ! La paix ! Mais j’ai affaire à des sourds. En vérité, nous frétillons bien nous autres moucherons d’Europe. À peine sortis d’une guerre nous en voulons une autre. Pendant qu’ils se battent dans l’Orient nous démolissons Paris. Voilà Monsieur Peyronnet6 qui a fait ses adieux au monde : il n’aura pas de peine à trouver l’autre meilleur. Adieu, aimable : quelque monde que j’habite, mon cœur y est à vous.

C’est avec vous que je commence l’année épistolaire. Puis-je rien faire de mieux ?

Brifaut

1Loyde de Falloux (1842-1881), fille unique des Falloux. Atteinte de nanisme, elle était de santé fragile.

3Loyde de Falloux (1842-1881), fille unique des Falloux. Atteinte de nanisme, elle était de santé fragile.

4Étienne-Denis, baron puis duc de Pasquier, dit le chancelier Pasquier (1767-1862), homme politique. Préfet de police sous la Restauration, Garde des sceaux, puis ministre des affaires étrangères sous la Restauration, il présida la chambre des pairs sous la monarchie de Juillet. Il était membre de l'Académie française depuis 1842.

5La France est alors en guerre contre la Russie. Sans doute le duc Pasquier a-t-il pris position en faveur de la Russie.

6Peyronnet, Charles Ignace, comte (1778-1854), magistrat et homme politique. Député sous la Restauration de 1820 à 1823 et de1824 à 1827, il sera Garde des Sceaux de 1828 à 1830 puis ministre de l’Intérieur en 1830.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 janvier 1854», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1854,mis à jour le : 15/01/2021