CECI n'est pas EXECUTE 4 septembre 1871

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4 septembre 1871

Pauline de Castellane à Alfred de Falloux

Lundi, 4 septembre 1871

Quel anniversaire 1!

Et comment va-t-il se passer à Lyon, à Bordeaux et ailleurs ? Je ressens pour votre tête, l’influence des orages qui se sont succèdes depuis 48 heures. La pluie qui en a été la conséquence fait plaisir à nos campagnards. Et en rendant l’air et toutes choses humides, rendra aussi plus difficiles, Dieu le veuille, les incendies ! Celui de chez M.Joubert-Bonnaire2 (d’Angers) a un douloureux retentissement, le croiriez-vous, à… Saint Patrice3 ! Nos commerçants en chanvre craignant que ce débouché leur soit désormais fermé. La forêt de Chinon appartient à l’État. Bernard d’Harcourt4 est véritablement malade, retenu au lit par un épanchement de synovie. Si quelqu’ autre lettre s’adresse de Caradeuc5 à la grand-mère St Aulaire6, je demande à y être nommé, comme aussi à Monsieur votre frère dont la toute bonne lettre que vous m’avez envoyée m’a bien intéressée et touchée. Rome, Ah pauvre Rome ! Mais aussi, pauvres bien pauvres nous ! L’Assemblée va décidément paraît-il se donner des vacances il est vrai bien méritées, mais encore plus dangereuses,peut-être, que méritées. Avant qu’elles commencent les députés n’imposeront pas, je le crains, de changement de ministère. Pendant les vacances qui seront de au moins deux mois, M. Thiers gouvernera plus arbitrairement que jamais et conséquemment, plus que jamais contrairement à l’esprit de la majorité. Celle-ci en sera blessée, irritée, et à la rentrée le montrera, mais je le crains sans plus d’efficace que dans les mois passés. Et… alors ? On ne peut penser sans frémir à ce que pourra être cet alors ! Merci, tendrement merci, de m’avoir fait annoncer la conversation avec l’Empereur. Dans ma lettre d’avant-hier, j’ai exposé à Bertou ma vue d’ensemble, sur la conversation avec Thiers. Un de ces jours où j’aurais plus de tête que ces jours-ci (l’humidité a renouvelé mes douleurs surtout dans le front et dans les yeux) je reverrai avec soin à l’aide de mes souvenirs les plus approfondies le mot à mot de la dite conversation. En attendant je vous prépare un petit envoi littéraire pour vos soirées Hay de Nétumières7. La bataille de Dorking entre autres. Lisez vous Chanzy8, et qu’en pensez-vous ? Veuillez avec mes amitiés dire à Bittout que M. Lamy9 ne nous a point échappé. Et aussi que j’ai vu hier le ménage Marot. Qu’il a l’air lui d’une intelligence bien médiocre quoique d’une assez jolie figure. Travaillant sur la ligne en ce moment toujours excepté de neuf heures du soir à cinq heures du matin, il ne pourra pas avant l’hiver commencer des heures avec votre instituteur M. Dury ; mais sa femme Marot dit que son mari ira les commencer avec les soirées longues. Probablement donc vers la Toussaint. Il a 28 ans et peut être admis par Monsieur Ratel jusqu’à 32, pourvu que alors il sache lire et écrire. La très frêle santé de sa femme nécessiterait qu’il le sut plus tôt très tôt.

Hier, Boni, Jean et Jacques10 sont venus présider avec curé, maire et grand-mère. Antoine s’annonçait ici pour jeudi, avec l’espoir d’y rester jusqu’à dimanche soir ! J’ajoute cette feuille pour vous en faire part, amis chéris, afin que rien ne vous soit inconnu.

Voilà donc, 2 des accusés condamnés par le Conseil de guerre de Versailles et un par celui de Marseille à la peine de mort ! Quant aux autres il est à craindre que l’armistice que donnera le premier triomphe d’un pouvoir rouge les ramènera sur la scène européenne. Et même peut-être avant si ils parviennent à s’échapper des lieux de leur déportation.

Quant au message de Thiers et à sa lettre à M. de Larcy11, il s’y trouve comme toujours et à boire et à manger, pour chacun selon les goûts divers….

Pitoyable politique pleine d’équivoque toujours, comme le sont aussi, du reste le rapport et la proposition Vitet.

Le discours de M. de Lavergne12 était, lui, dans le vrai. Je trouve que le seul point essentiel obtenu par la majorité, c’est qu’elle ait affirmé les droits constituants de l’assemblée. Du moins et au moins ceci peut-être pourra-t-il écarter la perspective d’une assemblée rouge.

Cher, Cher Monsieur, Madeleine et moi, sommes de votre avis au sujet du titre et de toute l’affaire du Marquis de notre branche, Antoine aussi, je crois. Ma belle-fille fort reconnaissante de la bienveillance de Mme de Netumières désire qu’elle sache bien toute sa gratitude.

La grand-mère, mère et enfants de céans, embrassent les grands-mères parents et filles de Caradeuc.

1Allusion à la date de la proclamation de la République, le 4 septembre 1870.

2Joubert-Bonnaire, Achille (1814-1883), industriel et maire d'Angers (1871-1874). Élu sénateur du Maine-et-Loire en 1876.

3Commune d’Indre-et-Loire où se situe Rochecotte le château de Pauline de Castellane.

4Harcourt Bernard, Pierre Louis d' (1842-1914), militaire et homme politique. Officier d'ordonnance du général Mac Mahon en Algérie, frère d'Emmanuel d'Harcourt, le secrétaire de Mac Mahon président de la république, il avait été élu du centre droit du Loiret de 1871 à 1876.

5Château de Caradeuc, commune de Bécherel (Ille-et-Vilaine), demeure des beaux-parents de Falloux.

6Sans doute Louise-Charlotte Victoire de Grimoard du Roure de Beaumont-Brison (1794-1874), seconde épouse du comte Louis Clair de Beaupoil, comte de Sainte-Aulaire.

7La famille Hay des Nétumières habitaient l’Ile-et-Vilaine, non loin de Caradeuc.

8Chanzy, Alfred Antoine Eugène (1823-1883), général. Il fut nommé commandant de l'armée de la Loire pendant la guerre franco-prussienne. Élu des Ardennes à l'Assemblée nationale de 1871, il siégea au centre gauche. Le 10 décembre 1875, il est élu sénateur inamovible. Son attachement au maréchal Mac Mahon et son hostilité à la politique anticléricale l'éloigne peu à peu de ses amis du centre gauche.

9Lamy Etienne Marie Victor (1845-1919), homme politique. Élu du jura en février 1871, il siégea à la gauche républicaine votant contre la démission de Thiers, puis contre le ministère de Broglie et pour l'amendement Wallon. Réélu en 1876, il fut l'un des 363. catholique, il se sépara de la gauche républicaine lors de la discussion du projet de loi Ferry et vota contre l'article 7. Bon orateur, son discours critique à l'égard de la politique du gouvernement en matière religieuse fut très applaudi par la droite. Non réélu, il se consacra à des travaux littéraires et historiques, collaborant à la Revue des Deux Mondes et au Correspondant dont il deviendra le directeur entre 1904 et 1910.

10Les 3 enfants d’Antoine et de Madeleine de Castellane.

11

Larcy, Charles Paulin Roger Saubert de, baron (1805-1882), homme politique. Entré dans la magistrature en 1826, il démissionna après la chute de Charles X pour se lancer dans la vie politique. Conseiller général d’Alés, il fut élu député (collège de Montpellier) de 1839 jusqu’à sa démission le 29 janvier 1844, date à laquelle il fut déclaré « flétri » comme plusieurs députés légitimistes ayant été faire acte d’allégeance auprès du comte de Chambord. Réélu quelques semaines plus tard, il fut battu en 1846. Élu à la Constituante (Gard) et à la Législative (Gard), il soutint Louis Napoléon Bonaparte lors de l’élection à la présidence. Emprisonné quelques heures lors du coup d’Etat du 2 décembre, il démissionna de son poste de conseiller général d’Alés et se consacra à des études historico-politiques. Candidat à plusieurs reprises au Corps Législatif (1864, 1868 comme « catholique libéral » et 1869), il fut régulièrement battu. Élu le 8 février à l’Assemblée nationale (Gard), il entra peu après dans le gouvernement de Thiers comme ministre des Travaux publics. Il quitta le gouvernement le 30 novembre 1872 et rejoignit ses amis légitimistes de la réunion des Réservoirs. Il retrouva son poste de ministre des Travaux publics dans le gouvernement du duc de Broglie du 26 novembre 1873 au 21 mai 1874. Il vota contre les lois constitutionnelles de 1875. Le 4 décembre 1877, il fut élu sénateur inamovible. De 1867 à 1876, il collabora au Correspondant, pour lequel il écrivit des articles sur la Révolution et la Restauration.

Dans cette lettre A. Thiers enjoignait à R. de Larcy, légitimiste libéral, alors ministre de revenir sur sa décision de démissionner provoquée par les soupçons à l’égard de Thiers qui se montrait de plus en plus enclin à l’instauration d’une République.

12Lavergne, Louis Gabriel Léonce Ghuilaud de (1809-1880), économiste et homme de lettres français. Chef de cabinet de Charles Rémusat lorsque celui-ci fut ministre de l’Intérieur, puis maître des requêtes. Élu député en 1846, il rentra dans la vie privée après la Révolution de 1848 se consacrant à ses travaux d’économiste. Il donna de nombreux articles d’économie politique à la Revue des Deux Mondes. Il publia Essai sur l’économie rurale de l’Angleterre, de l’Écosse et de l’Irlande (1854) et fut élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1855. Candidat malheureux aux élections de 1863, il sera élu (Creuse) à l’Assemblée nationale le 8 février 1871. Orléaniste, il se rallia, après le 16 mai 1874, à l’idée d’une République conservatrice. En 1875, il fonda le groupe parlementaire du Centre constitutionnel (centre gauche). Le 13 décembre 1875, il fut élu sénateur inamovible.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «4 septembre 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1871,mis à jour le : 15/01/2021