1884 |
24 février 1884
Jules Buisson à Alfred de Falloux
La Bastide d’Anjou (Aude), 24 février 1884
Monsieur,
Voici l’Éloge de Mgr de la Bouillerie1. C’est un portrait à l’italienne. On y peut lire entre les lignes, les faiblesses des lacunes que tout homme porte en soi quand on le regarde de trop près ; mais aussi on a essayé de mettre ses qualités en relief véridiquement et affectueusement. N’est-ce point là ce qu’il faut faire en pareille circonstance ? Nos académies de province n’en sont point arrivées à l’ironie ou à la contradiction qui semblent avoir pris leur entrée à l’Académie française les jours de réception.
Pour ce qui est du diocèse de Carcassonne, et dans ce qui a trait à l’administration épiscopale de Mgr de Donnet2, j’ai parlé comme témoin à même d’être bien informé, à Bordeaux, j’ai évité de me renseigner auprès des hommes du parti que j’y connaissais. Je me suis adressé à des ecclésiastiques, hommes d’études, de sciences, vivant en dehors de tout mouvement politique. En un mot j’ai fait ce que j’ai pu pour arriver à la vérité vraie, qui est, je crois, la vérité bienveillante.
Je ne suis pas sans redouter votre jugement : soit à cause de votre autorité, soit parce que vous avez été plus à même qu’un autre de voir les faiblesses, et même d’en souffrir. C’étaient surtout des faiblesses politiques et la source en venait de sa famille, branche aînée et branche cadette. La branche cadette surtout avait été sous la restauration un nid de congréganistes.
À vous dire vrai, Monsieur, cette politique n’est pas du tout la mienne, les livres de Mgr de la Bouillerie diffèrent absolument de ce dont je me sers dans la pratique habituelle qui me servent, qui me sont chers et familiers. Mais, devant la nature, peinte avant tout, je suis pris d’un irrésistible accès de vérité. Je me désintéresse de mes goûts, je laisse le modèle, l’original me dicter le faire, l’exécution, c’est m’a-t-on dit, ce qui explique la variété d’aspect des croquis du Musée des souverains.
L’éloge est une page d’auteur, mais au fond c’est toujours la même chose : une étude d’après nature.
Veuillez agréer Monsieur l’assurance de ma haute considération et de mes sentiments les plus dévoués.
J. Buisson3.
1Roullet de La Bouillerie, Alexandre François (1810-1882). Évêque de Carcassonne depuis 1855, Mgr de La Bouillerie s'était lié à Falloux lors d'un voyage qu'ils avaient effectués ensemble en Allemagne, en Russie et en Pologne en 1836, soit deux ans avant qu'il ne se décide à entrer dans la prêtrise. L'entente entre les deux hommes s'étaient néanmoins détérioré progressivement et définitivement après 1848. Ne partageant pas le libéralisme catholique de Falloux, l'abbé deviendra un allié de L'Univers et du catholicisme intransigeant. Bouillerie François Roullet de la (1810-1882), ordonné prêtre en 1841, il exerça son première ministère au petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet dont Dupanloup était supérieur. Peu après il vint se mettre à la disposition de l'archevêque de Paris, Mgr Affre, qui en fit son vicaire général titulaire et le nomma archidiacre de Sainte-Geneviève. Il conserva sa place auprès de Mgr Sibour, le successeur de Mgr Affre à l'archevêché de Paris. Il fut nommé évêque de Carcassonne, le 6 février 1855. Le 16 décembre 1872, il deviendra coadjuteur du cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, avec le titre d'archevêque de Perga. Ultramontain, il sera l'un des partisans les plus ardents du dogme de l'infaillibilité pontificale.
2Mgr Donnet, Ferdinand François Auguste (1795-1882), ordonné prêtre en 1819, il avait été sacré le 30 mai 1835 en qualité d’évêque de Rosa in partibus comme coadjuteur de l’évêque de Nancy et de Toul en 1835. Promu archevêque de Bordeaux le 30 novembre 1837 il sera nommé cardinal au titre de Santa Maria in Via au consistoire de 15 mars 1852.
3Buisson Jules Marie (1822-1909), avocat et homme politique. Elu représentant de l’Aude de 1871 à 1876, il siégea au centre droit. Bon dessinateur, il réalisa de nombreuses caricatures de ses collègues parlementaires pendant les séances.
