CECI n'est pas EXECUTE 13 février 1884

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13 février 1884

Jules Buisson à Alfred de Falloux

La Bastide d’Anjou (Aude), 13 février 1883

Monsieur,

J’ai eu l’honneur de vous être présenté et de vous rencontrer trois ou quatre fois pendant que je faisais partie de cette chère assemblée nationale qui a manqué le coche pour beaucoup d’autres raisons et peut-être aussi parce que vous lui avez manqué. Je n’ai pas la prétention d’être resté dans votre souvenir personnellement mais vous aurez probablement feuilleté chez quelqu’un de mes collègues un recueil de portraits, caricatures et apothéoses mêlées et dont je suis l’auteur et qui s’appelle le Musée des souverains. Nous seront ainsi restés en connaissance. Permettez-moi de m’autoriser de ces souvenirs ou de ces probabilités.

Je suis chargé par l’antique et modeste Académie des jeux floraux de faire l’Eloge de Mgr de la Bouillerie1. L’ayant beaucoup connu et aimé, je voudrais satisfaire mon cœur aussi bien que la vérité vraie à son sujet. À partir de son séjour à Rome, je saisis dans sa vie intellectuelle un grand courant de philosophie et de théologie, lequel va toujours en augmentant pour finir dans une véritable délectation thomiste. Ses goûts philosophiques ont-ils commencé après la cristallisation de sa vocation ? Les avait-il dès le collège, à Stanislas ? sept ou huit ans après, à Henri IV, je sais bien que nous en étions possédés je connais des philosophes qui s’enveloppaient dans leur couverture durant une grande partie de la nuit pour lire Platon, quand ils avaient la bonne fortune de se trouver à portée du Quinquet.

Dans son discours de réception aux jeux floraux comme dans ses conversations, les souvenirs de jeunesse de Mgr de la Bouillerie étaient surtout poétiques et littéraires mais il me semble qu’il a dû, dès le collège, donner des signes d’une aptitude de son esprit si marqué dans le reste de sa vie. C’est pour m’éclairer sur cette question que je m’adresse à un témoin de ses années de collège, à un ami, à un compagnon de voyage, , en même temps, de son obligeance tous autres renseignements analogues relatifs à ce moment de la vie de mon ancien évêque, lesquels seraient propres à éclairer un portraitiste qui n’aime jamais à dessiner que d’après nature.

Je compte, Monsieur, « qu’un amoureux de l’amitié » tel que vous ne me refermera pas communication du tendre reflet de Mgr De la Bouillerie que je ne saurais en chercher autre part, gravé plus sincèrement.

Veuillez excuser la liberté grande que je prends en vous demandant cette espèce de collaboration. Si nous n’avons pu travailler ensemble à garantir, par la restauration de la monarchie, cette pauvre France qui retourne à son ressentiment de jacobinisme, ce serait un grand honneur en même temps qu’un honneur plein de charme de retrouver ou de fixer avec votre aide les traits de l’adolescence de notre ami commun.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma respectueuse considération.

J. Buisson

Ancien député de l’Aude à l’Assemblée nationale.

C’est mon ancien collègue et ami de Kerdrel qui a bien voulu me donner votre adresse.

1Roullet de La Bouillerie, Alexandre François (1810-1882). Évêque de Carcassonne depuis 1855, Mgr de La Bouillerie s'était lié à Falloux lors d'un voyage qu'ils avaient effectués ensemble en Allemagne, en Russie et en Pologne en 1836, soit deux ans avant qu'il ne se décide à entrer dans la prêtrise. L'entente entre les deux hommes s'étaient néanmoins détérioré progressivement et définitivement après 1848. Ne partageant pas le libéralisme catholique de Falloux, l'abbé deviendra un allié de L'Univers et du catholicisme intransigeant. Bouillerie François Roullet de la (1810-1882), ordonné prêtre en 1841, il exerça son première ministère au petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet dont Dupanloup était supérieur. Peu après il vint se mettre à la disposition de l'archevêque de Paris, Mgr Affre, qui en fit son vicaire général titulaire et le nomma archidiacre de Sainte-Geneviève. Il conserva sa place auprès de Mgr Sibour, le successeur de Mgr Affre à l'archevêché de Paris. Il fut nommé évêque de Carcassonne, le 6 février 1855. Le 16 décembre 1872, il deviendra coadjuteur du cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, avec le titre d'archevêque de Perga. Ultramontain, il sera l'un des partisans les plus ardents du dogme de l'infaillibilité pontificale.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «13 février 1884», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1884,mis à jour le : 21/04/2021