CECI n'est pas EXECUTE 9 octobre 1884

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9 octobre 1884

Albert de Broglie à Alfred de Falloux

 

 

 

9 octobre 1884

À mon grand regret, cher ami, il me sera impossible d’aller vous serrer la main à Rochecotte comme j’aurais aimé le faire. Je ne passerai que 24 heures à Chaumont1 avant d’aller reprendre pour la dernière fois probablement le collier du Sénat. Mais précisément parce que c’est la dernière fois, je tiens à faire mon devoir jusqu’au bout. Puis, j’aurais à aller et venir entre Paris et le département de l’Eure2, pour faire un effort électoral3. Le succès serait des plus douteux avec la loi actuelle. Celle que nous allons faire d’ici là dirigée empressement contre ce qui restent de conservateurs au Sénat la rendra tout à fait impossible. Mais je ne veux pas que mes amis me reprochent d’avoir rien négligé et puisse s’en prendre à moi de l’échec qu’il recevront. Cette obligation accomplie je me trouverais libre et congédié par la providence : je ne dis pas que j’en serais ravi mais j’y suis résigné d’avance et ne regrette que de n’avoir pu faire comme vous un peu de bien (au moins pour une génération) pendant mon rapide passage aux affaires. Je crois bien que j’aurais mieux réussi si 1873 avait eu la même aventure que 1863. Mais c’est une faible consolation.

Je savais la démarche de M. Boucher4 auprès de vous et je m’attendais que vous ne vous y rendriez pas. J’avoue que je le regrette, j’ai toujours peine à comprendre qu’une conversation avec Léon XIII n’ait pas paru plus utile pour la bonne cause qu’un article dans le Correspondant. Mais l’un (sans servir à l’autre) n’y aurait pas tellement nui qu’appelé tout naturellement à Rome par le plus légitime des motifs vous n’eussiez pu profiter de l’occasion que le triste événement de famille de cet été5 vous imposait presque d’utiliser. Les nouvelles que nous recevons de ce qui se prépare serait très rassurante si je ne craignais plutôt les malentendus que les mauvaises intentions. Le gouvernement belge assure, qu’informations puis avertissements donnés il ne craint rien. Plusieurs notes très bien faites ont été envoyées de Paris, et j’écris moi-même au cardinal Czacki6 une lettre qu’il m’a dit avoir fait lire. Suivant vos avis, j’ai bien plus appuyé sur les intérêts de la monarchie future qu’on peut tuer dans son germe, que sur l’effet immédiat à produire sur l’opinion. Quant à cette opinion elle-même, elle est pour le moment moins susceptible que vous ne pensez. On a tiré de si odieuses et absurdes conséquences du principe de la liberté de conscience, que l’encyclique pourra en parler sans enthousiasme assez impunément. Nous ne sommes plus en 1864 où l’Empire devenu le protecteur de l’Italie triomphait de toutes les fautes de la papauté et où nous avions besoin nous-mêmes pour lui résister de l’appui des libéraux. Aujourd’hui la liberté de conscience c’est la laïcisation des écoles et des hôpitaux. Les honnêtes gens trouvent assez bons qu’on en dise du mal. Mille amitiés dévouées.

Broglie

1Château de Chuamont-sur-Loire (Loiret), domaine d’un des fils d’Albert de Broglie, Henri Amédée de Broglie (1849-1917) et de son épouse Marie, née Say (1857-1943).

2Broglie, le domaine familial est situé dans l’Eure.

3Albert de Broglie est alors candidat à sa réélection au Sénat pour les élections qui s’annoncent les 11 et 25 janvier 1885.

4Boucher Auguste (1837-1910), professeur et journaliste. Collaborateur du Journal du Loiret à partir de 1871, il était entré au Français et au Correspondant en 1875. Installé à Paris, il organisa le bureau de presse du comte de Paris. Peu après le décès de son épouse, il épousa, en 1877, la fille de Léon Lavedan.

5Le 22 juin 1884, Alfred de Falloux avait perdu son frère, le cardinal Frédéric de Falloux.

6Czacki Włodzimierz, Mgr (1835-1888). Nommé par Léon XIII à la nonciature de Paris, il fut chargé d'appliquer la nouvelle politique du Saint-Siège et en particulier de convaincre les catholiques de ne plus lier leur intérêts à la cause royaliste et d'accepter les nouvelles institutions que la France s'était données. Secrétaire de la Congrégation des Études de 1875 à 1877, secrétaire de la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires de 1877 à 1879, nonce à Paris en 1879, cardinal en 1882.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 octobre 1884», correspondance-falloux [En ligne], 1884, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 25/01/2021