CECI n'est pas EXECUTE 14 mai 1882

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14 mai 1882

Albert de Rességuier à Alfred de Falloux

Paris, 14 mai 1882

Vous pouvez penser, cher ami, quel désappointement j’ai éprouvé en apprenant que vous nous étiez soudainement enlevé au moment où nous remettions la jouissance trop rare de quelques moments passés auprès de vous. Le douloureux devoir que vous remplissez avec un si admirable dévouement impose à vos amis des sacrifices contre lesquels ils n’osent pas réclamer. J’espère encore que votre cher et digne malade retrouvera quelques jours de répit et que vous nous serez rendus.

Je vous reconnais dans l’attention que vous avez trouvé moyen de garder, malgré cette épreuve pour la sotte affaire qui m’a donné du souci. Pour le moment, elle est terminée à Paris, l’hôte de l’avenue Bosquet ayant pris de bonne grâce le parti d’envoyer à Rome les propositions (très large en vérité) qui lui ont été faites. Reste à savoir quel accueil leur a été réservé. Votre lettre les aura devancées, et aura très bien préparé le terrain. Je compte aussi, après vos utiles conseils, sur l’intérêt bien entendu qui ne fera pas négliger une recette immédiate pour courir après une vengeance qui retomberait autant sur la tête du plaignant que sur celle de ses victimes. Mais, comme vous le dites en faite de sottise, il faut toujours dans ce temps-ci, se méfier du surnaturel. C’est un genre de démonstration qui ne touchera pas M. Renan1, et que ma foi défaillante a un peu de peine à admettre. Nous voici à la veille d’être lancé dans une nouvelle et bien plus grave affaire de Tunis. L’intervention en Égypte reprochée à M. Gambetta va probablement être faite par Freycinet2 qui semble destiné à dépasser par faiblesse tout ce que son ancien ami et aujourd’hui rival aurait commis de faute par étourderie. Et on a si bien embrouillé les affaires qu’il est difficile de faire entendre un mot de protestation sans avoir l’air d’abandonner des intérêts traditionnels et respectables ! Quel fléau qu’un mauvais gouvernement ! Adieu, cher ami, et laissez moi espérer à bientôt.

Broglie

1Renan Ernest Joseph (1823-1892), écrivain et philosophe. Se destinant à la prêtrise, il fis ses premières études à l’école ecclésiastique de Tréguier (1832-1838). Il vint ensuite achever ses humanités à Paris, à Saint-Nicolas du Chardonnet dirigé alors par l’abbé Dupanloup. Entré au grand séminaire de Saint-Sulpice, il le quittera néanmoins deux ans plus tard. Agrégé de philosophie en 1848, il fut élu au Collège de France en 1862 avec le soutien des bonapartistes libéraux. L’année suivante, il publia sa Vie de Jésus dans laquelle il replaçait le Christ dans son milieu historique. L’ouvrage souleva de vives critiques parmi les catholiques qui obtinrent sa mise à l'Index. Mgr Dupanloup, son ancien professeur organisa même une cérémonie d'expiation collective à Notre-Dame. Un an plus tard, Renan fut contraint, sous la pression du gouvernement, de quitter sa chaire du Collège de France. Il entra à l’Académie française en 1878 et devint administrateur du Collège de France en 1883.

2Freycinet Charles Louis de Saulces de (1828-1923), ingénieur et homme politique. Polytechnicien, il devint chef de l'exploitation de la Compagnie des chemins de fer du Midi. Collaborateur de Gambetta dans le gouvernement de la Défense nationale en 1870-1871, il entra au Sénat en 1876 où il siégea avec la gauche républicaine. Le 14 décembre 1877, il entra dans le ministère Dufaure-Waddington où il occupa le portefeuille des Travaux publics. Président du conseil du 28 septembre 1879 au 19 septembre 1880, il occupe une seconde fois ce poste le 30 janvier 1882.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «14 mai 1882», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1882,mis à jour le : 30/01/2021