CECI n'est pas EXECUTE 15 août 1882

1882 |

15 août 1882

Albert de Broglie à Alfred de Falloux

 

Broglie (Eure), 15 août 1882

Cher ami, pourquoi ne voulez-vous pas me faire savoir à quel moment vous me ferez le très grand plaisir de venir passer un peu de temps à Broglie. J’espère que vous n’y avez pas renoncé, et que ce silence n’est pas mauvais signe. Mais je m’étais fait un petit roman de l’idée de vous faire trouver ici quelques personnes qui vous plairaient et j’avais entrepris en particulier auprès de Mérode et de Kerdrel une propagande que j’espérais mener à bonne fin et puis je n’ai pu rien conclure avant de quitter Paris faute de pouvoir donner une indication à peu près précise. Mettez-moi donc un peu au courant de vos intentions. Les miennes sont toujours celles que je vous ai annoncées : jusqu’au dernier jour d’octobre, je compte rester tranquille et vous me comblerez de joie à quelque moment que vous arriveriez. Vous n’avez plus le même besoin de passer par Paris. Au Mans vous prenez un embranchement qui vous amène (un peu lentement comme toutes les lignes de traverse) jusqu’au pied du château.

Notre session a eu la fin la plus ridicule du monde. Si le ridicule ne tombait que sur la république et n’était visible qu’à l’intérieur, je m’en consolerai sans peine. Mais c’est du dehors surtout que nous prêtons à rire, et c’est la France qui fait triste figure bien que je reste convaincu qu’il vaut encore mieux avoir fait sur les affaires d’Égypte la honteuse reculade à laquelle nous nous étions exposés, que de s’embarquer dans une aventure (à la remorque de l’Angleterre qui ne nous en savait aucun gré, et à la barbe de Bismarck qui ne nous l’aurait pas pardonné), je ne puis me consoler cependant de cet effondrement de l’influence française en Orient. Tous mes nerfs diplomatiques sont agacés par cette série de sottises. Et puis, c’est encore une partie de l’histoire de France que nous voyons finir. Sadowa a détruit toute l’œuvre de la France sur le continent, et Sedan n’a fait qu’achever. Ceci est un Sadowa maritime et méditerranéen.

Le public a confusément le sentiment de sa honte et plus nettement encore celui de la misère et de l’incapacité des gens qui nous gouvernent. Si quelque étoile luisait à l’horizon un grand vent s’élèverait. Mais le ciel étant toujours noir, personne ne se risque sur la mer. Mille amitiés bien tendres.

Broglie


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «15 août 1882», correspondance-falloux [En ligne], 1882, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 31/01/2021