CECI n'est pas EXECUTE 15 octobre 1882

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15 octobre 1882

Albert de Broglie à Alfred de Falloux

Broglie (Eure-et-Loir), 15 octobre 1882

Je suis charmé cher ami que nous soyons plus d’accord que je ne pensais et je n’ai nulle envie de défendre chacun des faits et gestes du Français, ce qui serait une manière de m’en déclarer responsable, charge qu’il ne me convient nullement de prendre. J’ai toujours été d’avis, au contraire, que tout en donnant une direction générale aux gens de cœur et de talent qui vous font l’amitié de le demander, il fallait se garder d’entrer dans les détails, afin de ne pas leur causer de gènes et prendre soi-même plus de responsabilités qu’il ne convient.

La seule remarque que je me permettrai de faire, c’est que peut-être en leur conseillant de prendre, même sur des faits, une certaine attitude, vous ne tenez pas assez compte de la nécessité pour des journalistes de répondre toujours si on les attaque sous peine d’avoir l’air aux yeux de leurs lecteurs, de céder le terrain et de demander grâce. Une remarque faite par le Français attirera une riposte aigre et insolente de LUnivers. Il faudra ou l’avaler, ce qui est dur, ou y répliquer, ce qui amènera une sur-réplique, et voilà engagée la polémique même que vous craignez.

Il y a là une mesure à garder et une tactique à suivre. Je crois qu’en général il vaut mieux laisser faire ce choix à ceux qui sont sur le terrain et peuvent recevoir des coups.

J’aurais été bien entendu sans rancune vous serrer la main à Rochecotte et avec une vive reconnaissance profiter de l’invitation si aimable de Mme de Castellane. Malheureusement, je ne vais pas à Chaumont1 cette année et par ma faute car c’est de mon libre choix que je vais aller passer les derniers jours de mes vacances à chercher à Londres des renseignements diplomatiques dont j’ai besoin pour la suite de mes travaux historiques sur Frédéric et Marie-Thérèse2. Cette équipée vous paraîtra singulière, mais outre que ces travaux sont le divertissement de ma vie, j’y trouve l’avantage de pouvoir envisager sans la moindre crainte le moment très probable et très prochain où je serai écarté de la vie politique. C’est une retraite beaucoup moins édifiante que la vôtre que je me bâtis d’avance. Et je m’y prends dès à présent ayant un certain plaisir à dire d’avance aussi au suffrage universel que je me rie de ses coups.

À revoir donc seulement à Paris pour la double élection académique et mille affectueux et chers souvenirs. Veuillez m’excuser auprès de Madame de Castellane.

 

Broglie

1Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher). La princesse de Broglie y possède le château de Chaumont.

2Ce livre sera publié en 1883, Frédéric II et Marie-Thérèse d'après des documents nouveaux. 1740-1742, Paris, Calmann-Lévy.


 


 


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «15 octobre 1882», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1882,mis à jour le : 03/02/2021