CECI n'est pas EXECUTE 18 avril 1877

1877 |

18 avril 1877

Alexandre Apponyi à Alfred de Falloux

18 avril 1877

Mon bien cher comte,

Vous avez raison. Je suis un ingrat et je n’essaierai même pas de me disculper. Vous me pardonnerez , j’en suis sûr, mais je sais que mes excuses n’y seraient pour rien. Ma mère a reçu votre bonne lettre il y a peu de jours ; elle m’a permis de vous écrire avant elle pour pouvoir m’excuser moi- même.

Nous sommes désolés d’apprendre que Madame de Falloux est toujours souffrante. Ma mère me charge de vous dire combien elle est affligée par ces nouvelles. Vous ne pouvez douter de notre intérêt. Nous vous prions tous deux de bien vouloir nous rappeler au souvenir de la bonne comtesse.

Nos santés ont été bonnes, grâce à Dieu, et ma mère a une mine excellente et semble être très en forces. Elle jouit beaucoup ici du séjour auprès d’Hélène1, du bon air de mer, des belles promenades et du beau ciel d’Italie qu’elle voit malgré ses yeux, et qui remplace pour elle toutes les beautés qu’elle ne voit pas. Nous avons passé l’été et l’automne à la campagne bien tristement, je n’ai pas besoin de vous le dire. Ma bonne mère a dû partager avec moi un nouveau chagrin que je lui eusse bien volontiers épargné. Je suis bien heureux que mon pauvre père2 ait encore pu conserver jusqu’à la fin quelques illusions. La vérité lui eut fait un profond chagrin. Mais cette triste année 76 devait nous apporter aucune ni aucune consolation.

En octobre je suis allé à Venise, pour ramener le corps de mon cher père en Hongrie. Il repose maintenant à Lengyel3 à quelques pas du château. Nous pourrons donc aller souvent prier auprès de sa chère tombe. La cérémonie a été très simple mais bien touchante, tout le monde l’aimait.

J’ai fait mon cabinet de la pièce qu’il avait habitée. Nous y avons mis presque tout ce qu’il avait dans son cabinet vert à Paris. C’est un vrai petit musée de souvenirs, de deux générations. Nous sommes restés à Lengyel jusqu’à la fin d’octobre. Ma mère4 est alors allée rejoindre Hélène à Nettuno5 où elle a passé deux mois. Puis elle est allée à Rome pour le reste de l’hiver, mais elle se sentait si seule qu’elle a fini par céder aux prières d’Hélène et qu’elle est revenue à Nettuno vers la mi-mars. Je crois que mon beau-frère6 sera bien forcé de venir s’établir à Rome l’année prochaine. Il y a une foule d’affaires dont il lui est presque impossible de s’occuper d’ici et le résultat est qu’il passe sa vie sur la grande route et que ma sœur en pâtit beaucoup. Je ne sais pas si les parents le suivront aussi le continueront leur vie champêtre. Cela évite bien des difficultés pour le moment mais on ne saurait y échapper tout ou tard et je crois que le jeune ménage surtout ne gagnerait rien à attendre.

Quant à moi j’ai fait un petit séjour ici en décembre, puis je suis allé à la campagne en Hongrie pour tâcher de hâter un peu les travaux. Je suis revenu ici il y a quelques semaines pour revoir un peu Hélène et pour ramener maman. Nous comptons être de retour à Lengyel vers la mi-mai, et nous attendons pour le mois d’août Hélène et Paul7 avec leurs quatre enfants et mon cousin Louis (fils de Jules8) avec également quatre enfants. Vous voyez que le château sera animé.

Je suis bien sûr que vous ferez dire une messe le 31 mai ; nous savons qu’après nous, personne ne conservera à ce cher père un souvenir plus fidèle que vous. Notre adresse à la campagne d’où les lettres nous suivront partout est :

Bonyhad (Hongrie) Lengyel

 

Je crains que j’ai bien peu de chances d’être cru sur parole, mais je vous promets mon cher comte, de vous écrire de langue et elle une lettre détaillée sur la petite vie que nous menons et sur l’établissement qui sera enfin terminé, et je vous promets solennellement que je passerai pas la frontière de France sans vous faire une visite au Bourg d’Iré ou ailleurs.

Croyez je vous prie que j’ai et que j’aurais toujours pour vous tous les sentiments qu’on peut avoir pour le meilleur ami d’un père adoré, et conservez-moi toujours votre bienveillance.

Alexandre Apponyi

J’ai une plume véritablement détestable qui m’empêche d’écrire et presque de penser.

 

 

 

 

 

1Hélène Apponyi, princesse de Borghese (1848-1914).

2Famille de diplomates autrichiens. Falloux avait des relations avec Rudolf Apponyi (1802-1853) qui avait été attaché à l'ambassade d'Autriche à Paris de 1826 à 1949. Il a laissé un journal intéressant, 25 ans à Paris (1826-1850). Journal du comte Rodolphe Apponyi, attaché de l'ambassade d'Autriche-Hongrie à Paris / publié par Ernest Daudet, Paris, Plon-Nourrit, 1913, 4 vol.

Il s‘agit du fils de Rodolphe Apponyi dit Rodolphe II (1812-1876), diplomate. Il fut ambassadeur à Londres de 1856 à 1871 et de 1872 à sa mort.

3Le château de Lengyel dans le comté de Tolna, en Hongrie, est la propriété de la famille Apponyi.

4Anne Apponyi, née van Benckendorff (1818-1900).

5Station balnéaire proche de Rome.

6Paul Borghese-Aldobrandini (1845-?), époux depuis 1866 de sa sœur Hélène.

7Voir note supra.

8Jules Apponyi (1816-1857), oncle d’Alexandre Apponyi, diplomate.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 avril 1877», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1877,mis à jour le : 11/02/2021