CECI n'est pas EXECUTE 27 décembre 1864

Année 1864 |

27 décembre 1864

Rodolphe Apponyi à Alfred de Falloux

Londres, 27 décembre 1864

Merci mon cher ami, d’avoir accompagné votre précieux envoi d’un mot d’amitié et de souvenirs qui en double le prix. Depuis mon retour ici, je voulais vous écrire, mais je n’y suis pas parvenu par une triste raison, qui est l’état de santé de ma femme1. Déjà l’été n’avait pas été brillant et là empêcher de quitter Londres. Ce n’est qu’à la fin de septembre qu’elle est allée passer six semaines à Bade, où elle s’est un peu remise. Mais à peine arrivée à Paris, à la mi-novembre, elle a eu de nouveau des pertes de sang terrible qui l’ont tenu pendant trois semaines dans son lit et sur sa chaise longue. Je suis arrivé à temps pour la soigner et la remonter un peu. Mais quoi qu’elle ait pu me suivre ici, il y a 15 jours, elle a bien de la peine à se remettre, et se sent faible, nerveuse et épuisée à l’excès. Vous savez combien ce genre de maladie influe sur le moral, et l’hiver de Londres, cette tristesse, cette obscurité, ces brouillards, cette vie solitaire et monotone de cette absence complète de distraction et de sociabilité ne sont guère fait pour influer favorablement sur un physique et un moral détraqué. Vous comprendrez donc aisément que je consacre à ma pauvre femme tous les moments que je puis dérober à mes occupations. Heureusement ils sont nombreux en ce moment, car la politique, au moins ici, chôme entièrement. C’est peu de jours après l’arrivée d’Annette à Paris, qu’Antoine de Castellane l’a rencontrée et a pu vous parler de sa mine brillante. Elle ne l’a malheureusement pas gardée! Elle vous dit mille tendresses et tous deux nous vous prions de parler de nous à votre chère Marie et de nous rappeler au souvenir de Madame de Castellane, si elle est encore avec vous. Dites-lui aussi que ma sœur son ancienne amie qu’elle n’a peut-être pas oublié entièrement, va à merveille. Je suis allé la voir cet automne en Hongrie et l’ai trouvée contente, heureuse et prospère, très engraissée, contente et charmante comme toujours. Son intérieur fait plaisir à voir ; sa fille réussit à merveille, son mari l’aime et l’apprécie et toute la famille la porte sur les mains [sic]. J’ai passé six semaines à la campagne avec mon adorable mère, qui Dieu soit loué, porte ses 74 ans à merveille. Nous avons beaucoup parlé de vous à qui elle s’intéresse toujours tendrement. Pour vous le prouver je puis vous confier qu’elle vous destine, comme souvenir après elle, un petit vase de Sèvres, cadeau de Madame la Dauphine. Pour achever de vous rendre compte de mes pérégrinations, je vous dirai que j’ai passé en revenant de Hongrie, un mois à Vienne où j’ai bien failli rester, l’Empereur2 voulant m’attacher à sa personne en me conférant la plus grande charge à sa cour, qui est en même temps la première position sociale dans la monarchie. Mais les devoirs de représentation attachés à cette charge, très mal rétribuée, m’ont empêché de l’accepter, car je suis pauvre comme un rat d’église, mon cher Alfred, j’ai femme et enfant et doit donc rester dans ma carrière dont les émoluments avec mon petit revenu, me permettent de vivre honorablement. Tout ceci est confié à votre discrète amitié.

Et maintenant parlons de votre envoi3. J’en ai lu à ma femme l’introduction et tout ce qui est écrit depuis le 15 septembre et nous ne pouvons assez admirer le courage, la conviction, le talent et la vérité frappante de ces pages éloquentes. Je pense exactement comme vous sur cette question importante ; comme vous, je condamne la conduite des coupables et je déplore la passivité à laquelle les circonstances obligent les autres. Heureusement, comme vous le dites si spirituellement, la Providence n’a pas encore reconnu le principe de la non intervention et c’est sur elle seule qu’il faut compter. Merci encore, cher ami, de ne jamais m’oublier lorsque vous élevez la voix en faveur des bons principes et de compter sur mon entière sympathie.

Alexandre4 est à Paris depuis quelques semaines et se réjouissait extrêmement de la perspective de vous voir le printemps prochain, époque ordinaire de vos courses dans la capitale. Je suis désolé d’apprendre que votre santé vous oblige à renoncer à cette habitude. Votre bulletin n’est guère satisfaisant et j’admire la sérénité et la résignation avec laquelle vous portez cette lourde croix et les sacrifices qu’elle vous impose. Une course au Bourg d’Iré serait un de mes vœux les plus chers mais qui pour le présent a peu de chances de se réaliser.

Je n’ose pas même vous promettre Alexandre car vous comprenez combien nous tenons à ce qu’il nous consacre les petits congés qu’il pourra obtenir. Le voisinage est un des avantages que nous prions le plus dans la place qu’il occupe et qu’il désirait beaucoup au point de vue de son développement intellectuel bien plus que comme séjour de plaisir frivole. Il a déjà fait quelques connaissances intéressantes et on lui en promet d’autres. Il est très occupé à la chancellerie, et au point de vue social le bon souvenir qu’on conserve à notre nom, lui a beaucoup facilité ses débuts.

Adieu, mon excellent et fidèle ami. Comptez toujours sur une affection qui date de 35 ans et que rien ne saurait altérer.

A vous de cœur

Rodolphe

1Anne van Benckendorff (1818-1900).

2François-Joseph Ier (1830-1916), empereur d’Autriche, roi de Hongrie, de Bohême et de Croatie.

3Il s'agit de l'article de Falloux, La Convention du 15 septembre, que Le Correspondant publia dans son numéro du 25 octobre 1864.

4Alexander Apponyi von Nagy-Appony (1844-1925), son fils.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «27 décembre 1864», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire, Année 1864,mis à jour le : 14/02/2021