CECI n'est pas EXECUTE 28 novembre 1865

Année 1865 |

28 novembre 1865

Rodolphe Apponyi à Alfred de Falloux

Londres, 28 novembre 1865

 

Mon très cher ami.,

Vous ne sauriez croire combien j’ai été touché, heureux et reconnaissant de votre excellente lettre. Je l’ai reçu quelques jours avant mon départ de Rome, et si je n’y ai pas répondu plus tôt, c’est que depuis, j’ai toujours été par voie et par chemin, et que je ne suis de retour à mon poste que depuis peu de jours. Mais je n’ai pas cessé un moment de vous remercier en idée, de la joie que vous m’avez causé. Il est impossible de lire des choses plus satisfaisantes pour le cœur d’un père, que celles que vous m’écrivez sur mon cher enfant. Vous l’avez jugé1 avec trop de bonté et d’indulgence peut-être, mais cependant je sens qu’il mérite en partie la bonne opinion que vous avez pris de lui et que je serais très heureux et bien fier qu’il ait gagné un suffrage tel que le vôtre. C’est pour moi une grande garantie, d’autant plus que j’ai la fatuité de croire que vous ne m’avez écrit que vos impressions vraies. Il a été de son côté, ravi de son séjour au milieu de vous, profondément touché de votre amitié, de votre intérêt tout paternel, de vos bons et sages avis, qui lui ont inspiré une confiance sans bornes. Il vous aime, vous respecte,et vous admire, et je ne doute pas, tel que je le connais, que la pression que lui ont fait vos entretiens, ne soit profonde et durable, et n’exerce sur lui une influence salutaire. Soyez-en béni, mon cher ami, et partagez notre reconnaissance avec votre chère Marie2, car ma femme3 est bien de moitié dans tout ce que je vous exprime avec toute la tendresse de son cœur. Merci de vos bonnes prières pour mon garçon. Il en a bien besoin au milieu du dédale dans lequel il va se trouver lancé, et dans un moment si décisif pour son avenir. Je suis bien curieux de voir la tournure que prendront nos affaires. C’est une crise des plus importantes que nous traversons et malheureusement les mauvaises chances égalent presque les bonnes. Il faudra je crois beaucoup de temps et de patience pour arriver à de bons résultats et à une pacification que tout le monde désire, sans qu’on semble vouloir faire les concessions indispensables pour l’obtenir. Et ici, je ne parle que du pays car quant au gouvernement, Il est impossible d’aller plus loin dans la voie des avances.

Mais quittons ce sujet inépuisable, et laissez-moi vous parler de nous. Mon voyage d’Italie, quoique bien court, a parfaitement réussi. J’ai passé une semaine à Florence, trois semaines à Rome, et suis revenu par Pise, la Spezia, Gènes, Turin, Le Mt Cassini et Paris. À mon grand regret je n’y ai plus trouvé Alexandre qui était déjà parti pour Vienne. J’ai laissé ma femme à Rome où elle se plaît infiniment, quoique son peu de forces pour marcher et monter les escaliers, et sa vue si basse, soientt de grands inconvénients dans une ville, où il y a tant à voir, et où tout est si vaste. Rien n’est plus imposant que Rome, comme souvenir de tous les âges, rien n’est plus attrayant et plus intéressant que les trésors d’art qui y sont amoncelés. Ce ciel, ces points de vue, ces musées, ces galeries, ces ruines, tout parle à l’âme et à l’imagination, on est dans un enchantement et un saisissement perpétuel. Hélène jouit de tout avec l’ardeur de ses 17 ans, je crois que ce voyage lui profitera, non seulement comme santé, mais aussi comme complément d’éducation et comme développement d’idée. J’ai fait votre commission a H4 qui y a été bien sensible. Il arrive avec des projets de grande activité mais je doute qu’il trouve l’occasion de la déployer avec fruit. L’avenir de la papauté je ne parle comme de raison que sous le rapport politique et temporel, c’est impénétrable, je crois que le Saint-Père lui-même ignore ce qui adviendra de lui, après le 15 septembre5. Il montre une grande sérénité, une résignation et une soumission admirable au décret de la providence, mais excepté la prière, il ne fait rien pour conjurer le danger. Je n’ai pu aller à Naples, à cause du choléra, et espère que ma femme sera plus heureuse au mois de janvier, avant de me revenir.

Ce qui m’a fait grand plaisir, c’est tout ce que Alexandre m’a écrit sur Loyde6. Il la trouve charmante, spirituelle, et physiquement beaucoup mieux, plus forte et moins chétive qu’il ne s’y attendait. Votre santé aussi s’est bien comporté pendant son séjour et après la forte crise de Nantes. Comme j’ai envié cette course à mon fils. Mais j’espère toujours que je finirai par pouvoir réaliser un jour ce projet qui me sourit tant.

Adieu mon fidèle et excellent ami je suis à vous du fondement cœur.

Rodolphe

1Rodolphe Apponyi parle ici de son fils Alexandre (1844-1925).

3Anne Apponyi, née van Benckendorff (1818-1900).

4?.

5Convention signée le 15 septembre 1864 entre Napoléon III et Victor-Emmanuel, roi d‘Italie. Ce dernier s’engageait à ne pas attaquer le territoire du Saint-Siège, Napoléon s’engageant en retour à retirer ses troupes dans un délai de deux ans. Dans un article publié dans le Correspondant du 25 octobre 1864, Falloux dénonçait cette convention qu’il jugeait illégale et dangereuse pour la sécurité du Saint-Siège.

6Loyde de Falloux (1842-1881), fille unique des Falloux. Atteinte de nanisme, elle était de santé fragile.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «28 novembre 1865», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire, Année 1865,mis à jour le : 15/02/2021