1874 |
20 mars 1874
Rodolphe Apponyi à Alfred de Falloux
Paris, 20 mars 1874
Mon cher et fidèle ami,
Mon angélique mère1 est au ciel ! Elle a rendu son âme à son créateur dans la nuit d’avant-hier, sans souffrance, sans agonie, sans aucun indice préalable de danger. À elle qui redoutait tant la mort, Dieu a accordé la grâce de s’endormir doucement pour se réveiller dans un monde meilleur. Le matin même, elle avait communié en souvenir de la fête d’Alexandre2 et je crois avoir le droit de dire qu’elle a été reposée dans le saint de Dieu. Je sais la vénération que vous aviez pour elle et lq tendre affection qu’elle vous portait. Je veux donc vous associer un des premiers à ma profonde douleur. Vous la comprendrez et la partagerez. Et cependant je n’ose pas trop m’y livrer, tant je puise de consolation dans les souvenirs que cet ange nous laisse. Cette vie exemplaire, cette belle et digne vieillesse entourée d’amour et de respect est couronné par une douce et sainte mort, ce sont là des grâces que la providence n’accorde qu’à ses élus et dont mon cœur est profondément reconnaissant. Je crois déjà sentir l’influence de son intercession dans la résignation presque sereine avec laquelle Dieu me promet de supporter cet immense malheur il me semble que son souvenir sera mon ange gardien pour le reste de mes jours. Lundi sa dépouille mortelle sera placée à Apponyi auprès de celle de mon cher père, et Alexandre qui adorait sa grand-mère, est parti hier soir pour accompagner le triste convoi. La tendresse de cet excellent fils et celle de ma chère Annette3 sont un baume pour mon cœur.
Votre pitié ne me fera pas défaut, cher ami ; j’y compte dans cette triste circonstance comme dans toutes les occasions et vous aime et vous embrasse du fond de mon cœur.
Rodolphe
1Marie Thérèse Apponyi née de Nogarola (1790-1874).
2Alexander Apponyi von Nagy-Appony (1844-1925), son fils, diplomate.
3Anne van Benckendorff née Apponyi (1818-1900).
