CECI n'est pas EXECUTE 13 avril 1874

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13 avril 1874

Gaston d'Audiffret-Pasquier à Alfred de Falloux

Vendredi 13 avril [1874]

Monsieur le comte,

Notre ami M. le comte de Rességuier vous a dit que j’étais résolument lancé dans cette grande entreprise que dès le premier jour vous avez honoré avec un si bienveillant intérêt. Je n’ai pas encore adressé ma lettre au secrétaire perpétuel, je compte le faire jeudi prochain. Mais j’ai déjà pu recueillir dans quelques visites les dispositions de plusieurs de vos confrères. Place Saint-Georges1 le thermomètre est au-dessous de zéro on m’a beaucoup remontré la difficulté de l’entreprise. M. Legouvé est bien puissant ; et au fond cette campagne qu’on lui laisse mener pour démocratiser l’académie a ses secrètes sympathies. Puis j’ai des amitiés bien compromettantes et qui donnent à ma campagne une couleur fâcheuse. En définitive on m’a assuré qu’on n’avait aucun engagement, qu’on ne patronnait aucune autre candidature. Mon collègue Jules Simon dans une entrevue pleine de réticence diplomatique m’a dit que M. Thiers l’avait fait appeler. Que de toutes façons il désirait voter pour moi, qu’il le ferait mais que s’il pouvait le faire ostensiblement il amènerait six ou sept voix ; que sa politique devait dans le cas où j’aurais une faible majorité de chercher à m’en faire une considérable afin d’empêcher mon succès d’avoir une couleur politique tranchée. Il était manifestement sous la grande affluence de l’entrevue avec Monsieur Thiers.

Il a été fort question de mon vote dans l’affaire Dupuy de Lhôme2. Je m’en étonne ; il me paraît assez bizarre qu’on déclare voter pour le bonapartiste Sardou pour punir le président du Sénat de s’être associé à ses amis pour faire un homme deux mot ill belligérants que l’auteur de Rabagas3.

Si j’avais hésité au début de la campagne par le sentiment très sincère de l’insuffisance de titres personnels je suis bien résolu aujourd’hui à ne pas reculer il me semble que je manquerais à un devoir vis-à-vis des amis dont les sympathies m’honorent si grandement et des adversaires qui placent leurs oppositions sur un terrain qui laisse de côté le candidat sans frapper ses opinions.

Je retournerai à Paris mardi avec le grand regret de ne pouvoir vous aller chercher. Si je ne vous savais si occupé de la santé de Madame de Falloux et si je n’étais sur le coup d’un prompt appel à cause des affaires extérieures je prendrai la route de l’Anjou. J’ai si grand besoin de vous dire combien je suis touché, fortifié par l’amitié que depuis longtemps déjà vous avez bien voulu m’accorder et qui m’est plus cher encore à mesure que les jours que je traverse deviennent plus troublés et plus périlleux.

Veuillez agréer, Monsieur le comte, la bien sincère expression de mes sentiments les plus reconnaissants et les plus dévoués.

D. Audiffret-Pasquier

1Domicile parisien de Thiers.

2Dupuy de Lôme, Stanislas-Charles-Henri-Laurent (1816-1885), ingénieur et homme politique. Élu député du Morbihan de 1869 à 1870, il venait d’être élu sénateur inamovible le 30 mars 1877, sans doute avec la voix d’Audiffret-Pasquier. Il le demeurera jusqu’à sa mort.

3Rabagas, comédie en cinq actes de Victorien Sardou.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «13 avril 1874», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1874,mis à jour le : 21/04/2021