CECI n'est pas EXECUTE 15 novembre 1875

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15 novembre 1875

Rodolphe Apponyi à Alfred de Falloux

Paris, 15 novembre 1875

Mon bien cher ami,

De retour depuis peu de jour, j’ai hâte de demander de vos nouvelles et de vous informer moi-même d’une résolution que je ne voudrais pas que vous appreniez par la voix publique. Je quitte le service l’été prochain1 et en ai déjà prévenu mes chefs, afin de qu’ils avisent à mon remplacement. L’état de ma santé hâte peut-être un peu des projets de retraite que j’envisageais depuis assez longtemps, vous le savez. J’ai besoin de repos, de calme et de ménagement que le poste de Paris n’accorde guère lorsqu’on veut le remplir consciencieusement. Il exige plus de vigueur, d’activité, d’élasticité d’esprit et surtout plus d’intérêt pour les affaires, qu’il ne m’en reste. Je me sens fatigué, je soupire après l’otium cum dignitate2 et après une entière indépendance. Je crois qu’après 40 ans de service je l’ai bien mérité je préfère choisir mon moment et ne pas me le laisser imposer. Voilà en deux mots mon histoire. Ma femme3 et mes enfants se joignent au médecin pour demander ce changement d’existence et j’avoue que je ne porte pas de sacrifice en me rendant à leurs vœux.

Vous comprenez, mon ami que je suis doublement pressé de vous embrasser, avant qu’une plus grande distance nous sépare de nouveau. J’espère bien que l’académie vous amènera à Paris le mois prochain.

En attendant j’ai une faveur à vous demander. On désirerait avoir à Vienne quelques renseignements sur le nouveau cardinal de Rennes4, et j’ai pensé que comme demi breton, vous pourriez m’en donner sur son caractère et ses tendances politiques et religieuses. Est-il légitimiste ou bonapartiste, ultramontain ou raisonnable et modéré ? Est-il plutôt de l’école de Mgr Pie,5 ou de celle de l’évêque d’Orléans6? Je ne vous demande que quelques lignes consciencieuses et impartiales et n’ai pas besoin de vous assurer, j’espère, de la discrétion la plus absolue, quant à la source où j’aurais puisé.

Je me réserve de vous donner des détails sur notre été. Après ma cure de Saint-Moritz qui ne m’a pas fait grand bien cette fois-ci, nous sommes allés au Tyrol où nous avons passé un délicieux mois de septembre avec Alex, Hélène et tous les siens. Après dix jours passés tous ensemble à Venise, les Salmona ont pris la direction du sud et nous celle de la Hongrie, où nous nous sommes assurés que notre futur établissement deviendrait fort beau et très confortable et que nous pourrions y camper dès l’été prochain, en attendant qu’il soit complété par ce que nous emportons de Paris. Quant aux hivers – si Dieu me prête vie – nous les passeront probablement en Italie où ma fille et le climat nous attirent également.

Mon pauvre Alex7 est toujours dans le même état de pénible incertitude, ce qui nous afflige presque autant que lui.

Mais je m’aperçois que je vide mon sac, au lieu d’attendre à notre prochain revoir. Que de choses vous auriez à me dire ! Mais en attendant, envoyez-moi un bon bulletin de toutes vos santés et distribuez autour de vous mes plus affectueux et mes reconnaissants hommages à vous de tout cœur.

Rod.

1Rodolphe Apponyi est alors diplomate à Paris.

2« Le repos dans la dignité ».

3Annette Apponyi, née de Benkendorff (1818-1900),

4Godefroy de Brossais de Saint-Marc (1803-1878), ordonné prêtre en 1831, il est nommé évêque en 1841. En 1859, il était devenu le premier archevêque de Rennes.

5Intransigeant et ultramontain, c’est un proche de Veuillot.

6Mgr Dupanloup.

7Alexander Apponyi von Nagy-Appony (1844-1925), son fils, diplomate.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «15 novembre 1875», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1875,mis à jour le : 20/02/2021