CECI n'est pas EXECUTE 28 janvier 1874

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28 janvier 1874

Louis Belmontet à Alfred de Falloux

Paris, 28 janvier 1874

Hélas ! Très honoré comte, toutes sortes de contrariétés m’ont empêché de vous voir. Vous n’avez pas eu ma personne mais mon esprit de poète moraliste était avec vous, aussi bien que le souvenir.

J’aurais été bien heureux qu’un ami des belles-lettres tel que vous assistât à la lecture que j’ai faite de mon Pierre Legrand, dans une splendide soirée donnée par des seigneurs russes, au Grand hôtel, afin d’entendre la poésie tragique consacrée à la glorification de leur immortel fondateur d’empire, le succès de l’œuvre a été fort grand.

Ce que j’en dis va vous paraître en contradiction avec l’humilité chrétienne et le détachement du monde conseillé par les maximes de <mot illisible> de J.C. Cette devise morale ne défend pas le privilège de peindre en grand les grands hommes. Ma candidature n’a eu recours à aucune intrigue : intriguer est le propre des esprits médiocres et flexibles. Je me suis claquemuré dans les modesties de ma conscience d’honnête homme et de penseur moraliste.

On peut tout attendre des hommes, même la justice.

Cependant l’intervention très caractéristique de Monsieur Victor Hugo pour la lutte de demain me fait penser que la pensée dramatique des femmes coupables et des voluptés entretenues du demi monde a besoin d’être patronnée par l’auteur de Lucrèce Borgia1 cela va de soi : c’est la logique du monde renversé.

Le fils naturel de celui qui fit la Tour de Nesle2 devait être soutenu par le père du fils enfoui au cimetière en dehors de l’église.

Quelque grand que soit le talent, l’académie avant tout doit regarder le but, la forme et l’effet produit par les ouvrages sur lesquels les titres se fondent.

L’académie est le grand collège de l’âme. C’est à l’âme seule qu’elle doit ouvrir ses portes.

Le matérialisme et l’épicurisme ne sont pas de cette famille là.

L’académie est le Sénat des gloires sans tache. Si le soleil en a quelquefois, la gloire ne doit pas en avoir.

L’amour du bien, la passion du beau sont les deux gonds sur lesquels se meuvent les portes du temple académique. Les contrebandiers n’y passent pas.

Je vous demande encore pardon de ces observations philosophiques. Ce n’est pas ma cause que je plaide c’est celle de l’immortel aréopage.

Les hommes passent, les principes sont éternels. Les feuilles tombent, les troncs vivent de leurs racines.

Agréez, très honoré comte, mes respectueuses salutations et une croyance dans l’âme des Falloux.

L. Belmontet3, ancien député

1Lucrèce Borgia, drame en prose de Victor Hugo (1832).

2La Tour de Nesle, drame en cinq actes d’Alexandre Dumas (1832).

3Louis Belmontet (1798-1879), omme politique, publiciste et poète . Élu au Corps législatif de 1852 à 1869, il siégea avec la majorité dynastique. Réélu de 1869 à la chute de l’Empire, il siégea avec le centre-droit.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «28 janvier 1874», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1874,mis à jour le : 02/03/2021