CECI n'est pas EXECUTE 1er décembre 1848

Année 1848 |

1er décembre 1848

Rodolphe Apponyi à Alfred de Falloux

Karlsruhe, Ier décembre 1848

Cher ami, si je ne vous ai pas répondu de suite à l’admirable preuve d’intérêt et de souvenirs que vous m’avez donnés, c’est que j’ai été très occupé ces 15 derniers jours d’une grande joie de famille, mais qui n’a pas été sans inquiétude. Annette1 est accouchée, un mois trop tôt, d’une petite fille bien mignonne et délicate, à cause de sa venue prématurée, et aussi à cause de la pénible grossesse de sa mère, qui a passé par les alternatives de santé les plus extraordinaires, convaincus pendant deux mois qu’elle avait faits une fausse couche, et continuant cependant à être grosse avec des pertes de sang et les accidents les plus extraordinaires. Enfin le dénouement a été aussi prompt qu’inattendu, la petite Hélène a déjà tellement repris pendant ces deux semaines, elle montre si bon envie de vivre et de prospérer que j’espère que Dieu qui nous l’a donnée, malgré le peu de probabilités de réussite que présentait cette grossesse, nous la conservera. La chaleur et un bon lait sont les conditions essentielles de vie pour ce cher petit être, qui fait déjà honneur à son excellente nourrice. Annette va à merveille, et se soigne beaucoup dans cette époque si décisive pour l’avenir de la santé d’une femme.

Je vous remercie, cher Alfred, d’avoir songé à moi et à tout ce que j’ai dû éprouver pendant ces derniers mois. J’étais triste et humilié pendant longtemps, comme bien vous pensez, mais enfin il me semble que le bien commence à sortir de cet excès de mal, et après avoir vaincu et pour longtemps j’espère l’anarchie dans la capitale je suppose que nous en viendrons à bout en Hongrie aussi, et que l’absurdité et l’impossible de toutes ces tendances séparatistes une fois démontrés - et il l’a été malheureusement bien à nos dépens – la Hongrie rentrera dans les conditions indispensables à l’intégrité et à la force de la monarchie. J’attends l’issue de cette campagne avec d’autant plus d’impatience, que tous les miens sont chez eux au milieu de ces guerres civiles et de cette terreur, et que, quoique leurs environs aient été est assez tranquilles jusqu’à présent, je n’ai pas de lettres depuis un mois, toutes les communications étant interrompues. Cette absence de nouvelles est tout ce qu’il y a de plus angoissant. Je crois du reste que pour nous, le pis est passé, tandis que vous allez au-devant d’une crise dont personne ne peut mesurer la portée ni prévoir le résultat. L’on ne sait en vérité pour qui faire des vœux. Aucun des deux candidats n’empêchera une explosion inévitable. Seulement l’un l’amènera plus tôt que l’autre, et il me semble qu’il vaudrait presque mieux l’avoir derrière soi. Et la révolution de Rome, et le pape chassé probablement à l’heure qu’il est ! Vraiment il n’y a jamais eu un temps pareil au nôtre. Le spectacle de désordre, de crime, de folie partout soulève le cœur et confond l’esprit !

Comment voulez-vous que par le temps qui court, je vous parle d’avenir. Tout ce que je puis vous dire c’est que je crois notre carrière plus assurée qu’il y a trois mois, quoique le poste que j’occupe

soit bien précaire. J’y resterai tant qu’on m’y laissera. Mes prévisions s’arrêtent là.

J’ai suivi vos succès parlementaires avec un intérêt, dont vous ne doutez pas j’espère. Je sais que vous êtes apprécié, considéré, consulté et mon amitié s’en enorgueillit. Je vois par la brièveté de votre lettre que vous êtes très occupés, mais elle me prouve cependant que vous n’oubliez pas votre plus ancien ami et j’en suis touché. S’il devait y avoir une collision sanglante à Paris, la seule preuve d’amitié que je vous demande, ce sont quelques mots après, pour me dire que vous êtes sain et sauf ; ne me refusez pas cette prière. Dites à Albert [de Rességuier] que son malheur m’a été droit au cœur. Exprimez lui ma tendre et profonde sympathie. Vous savez combien je vous aime. Adieu, cher ami, je vous embrasse du fond de mon cœur.

Rod.

1Annette Apponyi, née de Benkendorff (1818-1900), son épouse.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «1er décembre 1848», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Seconde République, Années 1848-1851, Année 1848,mis à jour le : 03/03/2021