CECI n'est pas EXECUTE 25 septembre 1865

Année 1865 |

25 septembre 1865

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Bourg d’Iré, 25 septembre 1865

Très cher ami,

On a eu la bonne idée de m'envoyer une épreuve et nous venons de la dévorer. Je ne puis assez vous remercier et vous applaudir ; c'est d'un seul jet plein de vérité, de vie, d’éclat, d'éloquence haute et vibrante. Vous passez d'Horace Vernet1 à Bossuet2 et vous mêlez ces deux touches avec une aisance incomparable. Parmi tous les plaisirs infinis que vous m'avez fait il y en a un auquel j'ai été particulièrement sensible. Ce sont les termes brûlants dans lesquels vous stigmatisez l'archevêché de Paris3 prodigue de toutes ses pompes pour tous les misérables du siècle et qui laisse passer Lamoriciere sous son regard et sous sa main, sans oser lever ni l’un ni l'autre. Maintenant je veux vous faire une observation sur laquelle je vous demanderais de réfléchir si elle vous arrive encore à temps avant l'impression en brochure. Je crois que vous devriez d'un mot ou d'une phrase faire une politesse quelconque aux chefs qui ont succédé à la pléiade des généraux Africains et qui n'ont pu être responsables de leur prescriptions. Pélissier4, Trochu5, Mac Mahon me semblent le mériter. En règle générale vous savez que je vous trouve toujours trop sévère pour la France et dans cette France la prunelle de l'œil c'est l'armée. Rien n'est plus sensible. Remarquez en outre que Lamoriciere, Beudeau6 et Changarnier ont été en 1830 pour leurs devanciers ce que d'autres ont été pour eux en 1852. Le maréchal de Bourmont7, dont le fils avait été tué à ses côtés, le duc des Cars8 qui avait montré une énergie des plus brillantes à la prise d'Alger ont vu aussi leur gloire passer en d'autres mains et je vous assure cependant que le fils du maréchal de Bourmont versait à Nantes de bien sincères larmes sur la tombe de Lamoriciere. Le grand crime est celui des gouvernements qui ne savent pas à temps et de bonne grâce garder ou reconquérir de tels capitaines ; mais devons-nous reprocher à l'armée elle-même de ne pas se décimer et de ne pas déserter le drapeau à chacune de nos fantaisies révolutionnaires ? Pensez-y et vous trouverez bien aisément la nuance juste.

Merci, merci encore mille fois, bien cher ami. Je vous embrasse de toute mon âme.

P.S. J'aurais été bien tenté aussi de vous dire que le mot de Prince va pas à Thiers. Il est plus que cela, moins que cela, comme vous voudrez, mais il n'est pas cela. C'est une expression consacrée pour M. Berryer et qui aurait été inventée pour lui, si elle n’eut existé déjà. J'ai peur qu'on ne vous reproche d’y avoir mis une intention qui n'a pas même effleuré votre esprit, mais je reconnais aussi qu'après l'avoir fait lire à M. Thiers il est difficile de le changer. Cependant l'amour de votre perfection et la rage de votre gloire m'empêchent de garder in petto ma remarque inutile.

1Vernet, Horace, Emile Jean (1789-1863), peintre orientaliste, bonapartiste fidèle, il avait été membre de l’Académie des Beaux-Arts.

2Bossuet, Jacques-Bénigne (1627-1704), homme d'Église, évêque, prédicateur et écrivain. Il fut membre de l’Académie française.

3Mgr Darboy, Joseph (1813-1871), archevêque de Paris depuis 1863 et sénateur. De tradition gallicane, Mgr Darboy faisait partie, aux côtés de Mgr Dupanloup, de la minorité des prélats qui souhaitaient le rejet de la définition de l’infaillibilité. Pris comme otage par la Commune, il sera fusillé le 24 mai à la prison de la Roquette.

4Pélissier, Aimable Jean Jacques, duc de Malakoff (1794-1864), militaire. Ayant participé à la conquête de l’Algérie, il fut nommé quinze ans plus tard général de division. Commandant en chef des troupes françaises en Crimée, il sera nommé maréchal de France après la chute de Sébastopol, le 12 septembre 1855.

5Trochu, Louis Jules (1815-1896), général français. Aide de camp de Bugeaud, puis du prince Louis-Napoléon, il vota néanmoins contre l'Empire, mais n'en fut pas moins nommé colonel, puis général (1854). Nommé gouverneur de Paris pendant la guerre franco-allemande de 1870, il devient, suite à la proclamation de la République, président du Gouvernement de la défense nationale, le 4 septembre 1870. Soupçonné d'incapacité, on exige sa destitution le 19 janvier; il démissionnera trois jours plus tard après une fracassante déclaration au cours de laquelle, il suggère la capitulation.

6Bedeau, Marie-Alphonse Bedeau (1804-1863), comme les autres militaires cités ici, il participa à la conquête de l'Algérie. Comme Cavaignac, il revint en France et se fit élire à la Constituante.

7Bourmont, Louis III Auguste Victor de Ghaisne de (1773-1846) avait été nommé général en chef du corps expéditionnaire envoyé en Algérie en 1830. Très vite ses victoires lui vaudont d'obtenir le bâton de maréchal.

8Des Cars ou D'Escars, Amédée François Régis de Pérusse, duc (1790-?), nommé maréchal de camp sous la Restauration, il hérita de la pairie en 1822 et fut comblé de faveurs par Louis XVIII. Ayant accompagné Charles X dans son exil, il rentra en France en 1840. Éloigné des affaires politiques, il conservait néanmoins une influence considérable dans le parti légitimiste.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «25 septembre 1865», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1865,mis à jour le : 14/04/2021