CECI n'est pas EXECUTE 21 juin 1867

Année 1867 |

21 juin 1867

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Paris, 80 rue de Lille, 21 juin 1867

Très cher ami, vous ne m'avez pas donné le court bulletin de votre voyage que vous m'aviez promis, mais j'ai su par votre beau-frère1 que vous étiez arrivés à bon port, que vous aviez été entendre une grand-messe et que vous étiez content de l'ensemble de votre séjour. Cela suffisait pour vous faire tout pardonner et je n'ai tardé, moi-même, à vous écrire que pour être en mesure de vous dire ce qui vous intéressait.

Vitet2 m'a échappé à la première séance de l'académie qui a suivi votre départ, je crains qu'il n'en arrivât de mêmes, hier, et j'ai été mercredi le prendre à son propre domicile. Il m'a répondu aussitôt avec le mouvement plus affectueux pour vous et le plus sympathique à votre œuvre. Le côté libéral anglais le séduit parfaitement et vous pouvez compter sur lui sauf la fixation d'une date précise. Il a déjà avec la Revue des deux mondes, une promesse qu'il doit dégager d'abord et il se plaint d'une façon générale d'une lenteur de travail que lui impose depuis quelque temps l'état de santé. Je n'ai pas cru possible d'insister sur ce dernier point, du moment où la sincérité de son engagement ne pouvait être douteuse et j'ai achevé de le lier par la certitude de votre reconnaissance.

Hier, à la séance j’ai obtenu qu'on poussât la lecture jusqu'au numéro 66 et avec l'épigraphe : vere dignum et justum est ; acquum et salutare. La pièce a été réservée pour une lecture et pour une comparaison définitive. C'est un commencement de succès et une satisfaction d'amour-propre que vous pouvez annoncer à votre protégé. Quant à la conduite jusqu'au prix, je ne crois pas qu'il puisse s'en flatter. Il y a quelques mouvements heureux et plusieurs vers qui ont été goûtés. Malheureusement il y en a plusieurs aussi comme les deux suivante que j'ai retenus pour que vous en jugiez vous-même. L'auteur débute par dire qu'il a hésité devant son sujet ; mais qu'il s'enhardit.

Puisqu'aujourd'hui des voix qui parlent à nos fibres ont convié la muse aux chants des peuples libres.

Quant à moi, après avoir joui bien vivement d'un repos de 15 jours auprès d'Albert de Rességuier, je recueille mes débris de force pour ma première et dernière représentation à Dreux3. Je vous regrette tous les jours, bien cher ami, et bien particulièrement du jour ou j’aurais pu vous demander votre conseil sur mon discours. Je puis du moins, vous promettre qu'il sera bref et tâchera de concilier l’inspiration belliqueuse que vous m'avez laissée avec mon naturel besoin. M. Legouvé4 compte parler ainsi après moi et le tout doit finir par Vinceslas joué à Dreux par les comédiens du théâtre français. Quant aux comédiens de la haute politique, vous en savez probablement plus long que moi puisque vous lisez des journaux non censurés. J'ai reçu deux mots de l'évêque d'Orléans, de plus en plus content de ce qui se voit et de ce qui se prépare à Rome. Il ne donne du reste, aucun détail. Merci encore, cher ami, de tout le temps que vous m'avez donné ou laissé prendre ce printemps. Je dirais que rien ne m'a été plus doux si cela ne vous coûtait pas si cher. Mettez-moi bien aux pieds de Madame de Montalembert5 ; répétez lui tous les regrets de ma femme et de ma fille, recommandez moi à la patience de Mademoiselle Madeleine et dites à tous ceux qui vous soignent l'envie que je leur porte ! À vous de tout cœur.

Falloux

1Mérode Werner Charles de (1816-1905), homme politique. Beau-frère de Montalembert, d’origine belge, naturalisé français. Élu député du Doubs en 1846, représentant du Nord à l’Assemblée législative en 1849. Réélu député du Nord au Corps législatif en 1852, il donna sa démission en 1863.

2Vitet, Louis-Ludovic (1802-1873). Ancien élève de l’École Normale Supérieure, il collabora au Globe et publia divers ouvrages. Élu député de Bolbec (1834), il devint vice-président du Conseil d’État. Le 8 mai 1845, il entra à l’Académie française. Député à la Législative, il siégea avec la droite monarchiste. Il se retira dans la vie privée après le coup d’État. En 1871, il se fit élire à l’Assemblée Nationale. Il publia plusieurs ouvrages dont, De l’état actuel du christianisme en France, en 1867.

3Falloux était à Dreux pour y prononcer un discours lors de l'inauguration , le 30 juin 1867, de la statue de Jean Rotrou (1609-1650), poète et dramaturge.

4Legouvé, Ernest Gabriel Jean-Baptiste (1807-1903), auteur dramatique et essayiste. Fils de l'académicien Jean-Baptiste Legouvé (1764-1812), il avait obtenu, en 1827, le prix de l'Académie pour son poème, Découverte de l'Imprimerie. Il était membre de l'Académie française depuis le Ier mars 1855.

5Marie-Anne Henriette Ghislaine dite Anna de Montalembert( 1818-1904), née de Mérode, son épouse depuis 1836.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «21 juin 1867», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1867,mis à jour le : 15/04/2021