CECI n'est pas EXECUTE 14 octobre 1868

Année 1868 |

14 octobre 1868

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Bourg d’Iré, 14 octobre 1868

Très cher ami,

Vous avez dû trouver un mot de moi en arrivant à Paris, et je ne me doutais pas en l’écrivant que vous y étiez amené par un oculiste. J’espère que vous être parti bien rassuré, car je sais ce que serait pour vous une souffrance prolongée aux yeux, et seulement même une inquiétude. Ceux qui ont eu le bonheur de vous voir à votre passage, font un tableau si brillant de votre entrain et de votre énergique courage, que je crains moi maintenant de vous ennuyer. Vous voici rentrés dans un repos relatif, dans une convalescence bien lente, hélas ! bien souvent traversée, mais progressive et certaine. Dieu soit donc loué, sans cesser d’être invoqué, et prenez en patience le reste de vos maux, y compris vos amis. Vous m’avez promis votre brouillon relatif au concile, vous ne me l’envoyez pas et je vous le redemande avec insistance, parce que sans être aussi militant et aussi laborieux que vous, je suis aussi préoccupé, et je mettrai un grand prix à pouvoir appuyer mes humbles pensées sur les vôtres, en toute discrétion bien entendu.

La privation de Rochecotte, du voyage de Bretagne, et par conséquent l’immobilité absolue ont fini par me rapporter quelque chose, mais précaire et sans solidité ; c’est un mieux qui tient à la rigueur du régime, sans modification intérieure véritable. Aussi dès que le moindre infraction survient, le mal se trouve là, comme quelqu’un qui se tient derrière la porte et qui entre chaque fois qu’on l’ouvre. M. Berryer est venu passer une journée ici ; c’était, avec votre chère présence et celle de Madame de Montalembert1 au Bourg d’Iré, un de mes vœux les plus caressés. La journée a été très belle, de par le thermomètre et par le cordial empressement de tous mes voisins qui étaient accouru pour fêter M. Berryer. Le duc de Maillé2 et Arthur de Cumont se trouvaient du nombre, et, dès le lendemain, tout était rentré dans le plus grand calme ; néanmoins j’ai dû aussitôt payer ma joie argent comptant, et je n’en ai pas été quitte à moins de soixante-douze heures de douleurs aiguës sans relâche. Je vous dis cela par fidélité à mon système, qui consiste à regarder souvent le malheur d’autrui, non par dureté du cœur mais pour bien se pénétrer de l’arrêt mystérieux qui pèse sur notre pauvre monde, et qui cache tant de miséricordes derrière tant d’épreuves.

Individus, peuples et siècles tout y passe ; dès lors, comment se décourager ou se plaindre ? C’est le grand chemin et le but est au bout. Là-dessus, cher ami, je vous embrasse avec bien plus de tendresse encore que de résignation.

Falloux

1Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), épouse de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.

2Armand Charles Jacquelin, 3ème duc de Maillé (1815-1874).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «14 octobre 1868», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1868,mis à jour le : 18/04/2021