CECI n'est pas EXECUTE 28 juin 1869

Année 1869 |

28 juin 1869

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Rochecotte sur Langeais, 28 juin 1869

Très cher ami,

J’ai attendu d’être arrivé dans ce lieu où vous êtes si chaleureusement aimé, afin de donner plus d’intérêt à mes nouvelles, et surtout de vous inspirer à vous-même plus d’envie de m’envoyer des vôtres. Dès que j’ai pu sortir ma tête au-dessus du flot électoral qui venait de me submerger j’ai adressé un cri d’appel à Madame de Montalembert1, mais elle ne l’a point entendu, c’est donc maintenant votre propre commisération que j’invoque, après avoir fait dire et redire à Madame de Castellane tous les détails de son entrevue avec vous, au moment de son départ. Elle-même a bien supporté le voyage, elle tousse encore, mais moi, et sa vitalité ordinaire a rapidement pris le dessus. Quelle fête le jour où viendriez prendre le grand-père sur l’admirable terrasse de Rochecotte !

Vous savez que je suis aisé à consoler en matière d’échec électoraux d’abord je commence à m’y habituer ensuite parce que je suis convaincu d’avance qu’il faut lutter pour lutter, lutter pour protester, lutter pour apprendre à vaincre, mais qu’avec les armes et la brutalité cynique du gouvernement actuel, il faut compter d’avance sur la défaite. Toutefois ma philosophie ne tient bon que pour ce qui m’est personnel, et elle s’évanouit dès qu’il s’agit d’amis jeunes, vaillants tel que votre cher gendre, que Cochin, Albert de Broglie, Paul Andral. Quel douloureux signe des temps qu’un pareil ostracisme de la part de ceux qui dirigent une société, et qu’un pareil aveuglement chez les électeurs qui devaient redresser et corriger leur gouvernement !

Et ces hésitations du scrutin sur le nom même de M. Thiers quelle défaillance nationale !

Ne croyez cependant pas, cher ami, que vous allez me prendre en flagrant délit de découragement.

Non, tout cela sera payé bien cher, tout cela s’expiera par de cruels catastrophes, mais le vieux ressort français n’est point usé, sa solide trempe se retrouvera et ceux qui n’auront point désespéré d’elle, finiront par avoir raison. Ce n’est qu’une question de vivre et de vieillir. Résignez-vous donc à l’un et à l’autre cher ami, mettez votre indompté courage à vous soigner, et dépensez dans la docilité ce que vous voudriez prodiguer dans la bataille.

Veuillez dire à Madame de Montalembert, que tout en gémissant de son silence, je suis bien loin de l’accuser, et que je la remercie au contraire mille fois encore de tout ce qu’elle m’a témoigné de bontés ces printemps pour me consoler. Je lui serais infiniment reconnaissant, si elle veut bien aussi un jour ou l’autre transmettre mon plus affectueux souvenir à Ecotay2.

Au revoir bien cher ami, je vous embrasse en malades c’est-à-dire avec toutes les affinités sympathiques et en vaincu c’est-à-dire avec toutes les affinités sympathiques, qui peuvent se joindre à la plus profonde et à la plus fidèle amitié.

Falloux

 

1Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), épouse de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.

2Ecotay-l'Olme, dans le département de la Loire, commune de résidence de Camille de Meaux, le gendre des Montalembert.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «28 juin 1869», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1869,mis à jour le : 18/04/2021